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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/959

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d’avoir, l’année dernière, artificiellement grossi les évaluations qu’il était, dès ce moment, légitime d’établir. De là l’origine de la moins-value actuelle. Il y aurait beaucoup à dire de la loi sur les sucres, qui n’est point bonne et dont nous n’entreprendrons pas la défense. Elle s’explique mieux historiquement que théoriquement, car elle est, s’il est permis de le dire, la réunion de toutes les erreurs économiques qu’on peut introduire dans une loi. Mais le fait n’est pas sans excuses.

L’industrie sucrière a subi, avant 1884, une crise très violente, dont la cause principale était dans les avantages que la législation locale assurait, en Allemagne, à l’industrie correspondante et concurrente. Elle était très ingénieuse, cette législation. Pour développer autant que possible le rendement de la betterave en sucre, elle avait pris comme point de départ celui qu’on en obtenait à cette époque, et décidé que tout ce qu’on obtiendrait en plus serait exempt d’impôt. Les chimistes s’ingénièrent à augmenter les rendemens, et ils y réussirent à merveille. Il y avait là une prime à la fabrication qui est devenue très vite considérable, et qui a singulièrement facilité l’exportation en Angleterre du sucre allemand. Le marché anglais, sur lequel nous luttions avec l’Allemagne, a failli se fermer pour nous. Qu’avons-nous fait ? Ce que faisaient les Allemands eux-mêmes. La loi de 1884. a été calquée, nous allions dire copiée sur la leur, et elle n’a pas tardé à produire chez nous les mêmes effets que chez eux. L’industrie sucrière est redevenue prospère. Elle l’est même devenue à un tel point qu’il a fallu, quelques années plus tard, réviser la loi de 1884, et frapper d’un demi-droit les sucres qui en avaient été déclarés exempts. Nous n’exposerons pas toutes les conséquences de cette loi : les intéressés seuls nous suivraient, et ils les connaissent fort bien. Il nous suffira de dire que les Anglais ont payé leur sucre toujours meilleur marché et que, par compensation, les Français, aussi bien d’ailleurs que les Allemands, ont payé le leur de plus en plus cher. C’est un chef-d’œuvre d’altruisme ! Le sucre exempt de droit, ou qui n’en paie qu’un demi, est vendu aux Français comme s’il avait payé le droit plein, ce qui permet d’exporter le reste et de le vendre à bas prix de l’autre côté de la Manche. Si on ajoute, pour donner une idée complète du système, que l’Allemagne d’abord, et la France bientôt à son exemple, y ont ajouté des primes directes à l’exportation, on se rendra compte des résultats. Ils ont consisté, en Allemagne et en France, à faire percevoir un véritable impôt sur le consommateur, au profit non pas de l’État, mais d’une industrie privée.