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l’eau-de-vie, du vin, du thé, du sucre, des assiettes, des tasses et une théière en tôle émaillée. Lorsque, toutes les trois ou quatre heures, nous faisons halte auprès de ce qui sera quelque jour une station, et que, dans une des huttes qui en marquent l’emplacement, nous découvrons de l’eau bouillante, nous nous y précipitons pour remplir nos théières de métal bleu où nous avons jeté une pincée de thé : cela coûte de 0 fr. 50 à 0 fr. 75. Le paysage où nous glissons lentement est morne et plat : toujours la même steppe sablonneuse, où les seuls habitans sont les ouvriers de la ligne, où les seuls signes de vie sont les rails et les poteaux télégraphiques. Nous faisons halte à chaque station et parfois entre les stations, lorsqu’il s’agit de déposer un chargement de matériel : fil télégraphique, caisses de boulons, de clous, d’outils, planches ou bois de construction, etc. Le froid est toujours aussi vif. Mes compagnons parlent sans cesse du wagon qu’ils espéraient : je suis pour ma part bien tranquille, puisque j’ai casé ma personne et mes bagages dans une voiture chauffée. J’ai effectué la suite de mon voyage en Mandchourie en wagon spécial ; mais j’ai été fort heureux que le wagon que l’on avait eu l’exquise prévenance de me destiner se soit égaré çà et là, car j’ai pu ainsi juger par moi-même des conditions du trajet dans les voitures ordinaires.


Dans la nuit du 4 décembre, nous atteignîmes Khaïlar. J’y descendis, transportai mes bagages dans une modeste salle dépendant du buffet provisoire, chauffée par un petit poêle en fonte, et là, étendant une couverture sur le plancher rudimentaire, je m’endormis, chaudement roulé dans ma pelisse.

Khaïlar était jadis une ville fréquentée par les caravanes : elle avait alors une certaine apparence, comme en témoigne le temple qui se dresse devant la porte du Sud. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus guère qu’une bourgade russe et surtout une station importante du nouveau chemin de fer. A peine éveillé, je me mis en quête d’un Bouriate auquel l’éminent explorateur G. N. Potanine m’avait adressé. Je trouvai le brave homme, devenu interprète de l’administration, installé, non loin de la gare, dans sa double yourte en feutre. Averti de mon arrivée par les furieux abois de ses chiens, il vint à ma rencontre, et me fit entrer. A sa suite, je me faufilai dans une première tente servant de remise, puis dans une seconde qu’il occupait avec sa famille. Comme il n’y