D’abord, le directeur des travaux est un homme d’apparence caressante et douce, mais qui aime passionnément à tenter de réaliser l’impossible. Ils sont, dans ce pays, quelques-uns de ce tempérament, et on se sent saisi, à leur contact, de cette fièvre du : faire vite ! qui les consume.
Le soir, une hospitalière demeure me révélait les mystères d’un menu mandchourien qui unit les huîtres glacées de Vladivostok, sorte d’emplâtre froid qu’on se pose dans l’estomac, aux superbes fruits frais de Californie, et aux vins les plus variés, et j’y faisais connaissance avec les principaux acteurs de cette grande entreprise. Hélas ! dans deux ans, lorsque, grâce à leurs efforts, le chemin de fer percera la montagne, plus rien ne restera au sommet de ce col glacé, plus rien ne marquera, dans ces grandioses solitudes, que tant d’hommes y ont peiné !
En attendant l’achèvement du tunnel, il fallait pourtant faire passer la voie : ne pouvant encore la loger dans la montagne, on l’a fait serpenter sur ses flancs. J’ai dit déjà qu’on arrivait directement de l’ouest, par des pentes douces, à la hauteur du col. Le versant oriental est, en revanche, très abrupt : pour en descendre la pente, on a adopté ici le système américain des lacets à angle aigu. Il y en a quatre : à l’extrémité de chacun d’eux, se trouve une voie d’évitement ; le train, préalablement réduit de moitié, s’y aiguille, et repart sur le lacet suivant avec la machine en queue ; là, nouvel aiguillage et nouveau départ du train, cette fois, machine en tête. On m’avait dit en Sibérie que cette partie provisoire du trajet était des plus dangereuses : il ne le semble pas. La voie est ici, au contraire, établie très solidement, en raison de l’effort considérable qu’elle doit supporter. D’ailleurs, on sait si peu en Sibérie ce qui se passe en Mandchourie ! Les rares voyageurs qui en reviennent sont si peu communicatifs ou si superficiels ! Un homme très sérieux m’avait prévenu, par exemple, de l’inachevé que je rencontrerais ici : « On prétend que les rails sont joints, m’avait-il dit : c’est pure comédie ; la voie n’existe pas encore, et en maint endroit, les rails sont posés tout simplement à même la steppe. » Or, en bien des passages, la voie utilisée par le train est, en effet, une voie provisoire, une vrémianka, dont la substructure a été faite hâtivement. Mais cela s’explique aisément. On a dû d’abord construire ici une voie ferrée praticable au matériel roulant de la construction, pour être en mesure de construire ensuite la