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CAFÉS-CONCERTS ET MUSIC-HALLS


I

Le café-concert considéré comme un phénomène social et le « beuglant » pris au sérieux : c’est ce qui peut d’abord étonner. Mais le plus étonnant est le nombre même de ces « beuglans, » et l’importance publique qu’ils ont fini par prendre. Le théâtre-Concert, code humoristique à l’usage des artistes et néophytes, sorte de manuel-annuaire publié par un « homme du bâtiment, » et consacré par une préface de Paulus, mentionne, pour Paris, quatre-vingt-treize principaux cafés-concerts et cabarets artistiques. En province, toujours en ne citant que les principaux, les établissemens notoires, il en énumère plus d’une centaine, et le Figaro illustré, dans son enquête de 1896, constatait, sous la signature de M. Dauzats : « Paris compte aujourd’hui deux cent soixante-quatorze cafés-concerts où l’on chante annuellement de dix à quinze mille chansons nouvelles... Nous sommes décidément un peuple gai ! » Mais ce nombre même de deux cent soixante-quatorze est, en réalité, bien au-dessous du chiffre exact, fort difficile à fixer. Relevez, en effet, dans tous les quartiers, et presque dans toutes les rues, les annonces de « concerts » barbouillées à la main derrière les vitrages des débitans, recensez tous les « casinos, » tous les « Edens » et tous les « Alcazars » des départemens, toutes les « Folies » de préfectures, de sous-préfectures et parfois de chefs-lieux de canton, récapitulez tous ces établissemens, grands ou petits, somptueux ou misérables, et vous en verrez le total. Il y a donc bien vraiment là, sans exagération, un élément social, et un élément particulièrement pernicieux, un agent de perdition et d’abrutissement