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populaires. C’est le débit d’obscénités et de grimaces à côté du débit d’alcool, et encore plus toxique, presque aussi envahissant que le premier.

Les raisons de cet envahissement sont de plusieurs ordres. La chanson de table, d’abord, le refrain chanté le verre en main est un geste essentiellement français, et le café-concert, dès le milieu du XVIIIe siècle, se retrouve aux Porcherons, déjà semblable à ce qu’il est aujourd’hui. C’est le même auditoire de consommateurs de tous les mondes, la même population d’« artistes, » le même mélange de société élégante et de canaille. Plus tard, sous Louis XVI, nous voyons le Waux-Hall, Ange Pitou sous le Directoire, Darcier et son Estaminet lyrique sous la république de 1848, puis, sous le second Empire, le Café du Géant, l’Alcazar, l’Horloge, et le Moka de la rue de la Lune. Tous ces lieux de chansons, et leurs chanteurs, ont des caractères fort différens, et vont de la politique la plus aiguë à la niaiserie la plus inoffensive, mais relèvent tous du débit lyrique, du « beuglant, » et le « beuglant, » de nos jours, atteint vraiment son apogée. Il s’y multiplie comme dans une atmosphère d’élection, s’y épanouit en pleine terre promise. Dans toutes sortes de salles, devant des princes et des souteneurs, des femmes du monde et des « pierreuses, » on chante, on danse, on mime à présent tous les genres, même les genres les moins avouables. On pourrait, en conséquence, voir un peu là un fait de race, quelque chose qui vient de loin et qui se continue, mais on y retrouve surtout le besoin de sans-gêne, de veulerie, de tapage et de gros avilissement spécial à notre époque. Si bas que le théâtre soit tombé, si peu qu’il exige de tenue et d’application d’esprit, il en demande pourtant encore. On n’y fume pas, on n’y garde pas son chapeau, il faut comprendre la pièce, avoir au moins l’air de la comprendre, et les acteurs, d’autre part, n’y disent et n’y miment pas absolument tout. Au café-concert, au contraire, aucune de ces contraintes ! On fume, on boit, on va, on vient, on entre, on sort, tout en ayant devant les yeux les plus libres indécences, et tout en entendant les plus incroyables équivoques. C’est le paradis du libertinage et de l’inintelligence débraillée. Ajoutez le bon marché, l’excitation à peu de frais. On vous sert là, pour quelques sous, de quoi se rafraîchir et s’échauffer à la fois. Comment ne pas venir y satisfaire, ou y tromper, la fringale de vice avoué ou inavoué qui tourmente