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est visiblement une coupure tellement récente qu’on la dirait presque faite d’hier par la main de l’homme.

Il est sans doute difficile de préciser l’époque à laquelle l’isthme a été rompu, de dire quelle a été ou quelles ont été les causes de cette rupture. Il est possible que l’action mécanique des vagues et des courans, — le choc des unes et le frottement des autres, — agissant pendant la longue durée des siècles, ait usé peu à peu la falaise, la minant par le pied, déterminant ainsi une série d’écroulemens qui ont diminué tous les jours son épaisseur et sa résistance. L’isthme primitif aurait fini par se réduire à une frêle barrière de roches tendres et désagrégées ; et, après une succession de tempêtes et de marées formidables, comme on en voit souvent plusieurs par siècle, cette barrière ébranlée et disloquée aurait été tout à fait renversée et traversée par les vagues, et la communication brusquement et définitivement établie entre les eaux de la Manche et celles de la mer du Nord.

Mais il est aussi très naturel et non moins probable que le résultat a été considérablement facilité par une série de tassemens et d’affaissemens du sol dont on retrouve la preuve en maints endroits de la côte qui recouvre d’anciens arbres passés presque à l’état de fossiles et ensevelis sous les alluvions.

Quoi qu’il en soit, il est incontestable que la région Sud-Est de l’Angleterre, qui forme le comté de Kent, présente exactement la même constitution géologique que la région Nord Ouest de la France qui s’étend de la Basse-Seine ou mieux de la vallée de la Canche aux plaines littorales de la Flandre et dont le massif jurassique du Boulonnais est devenu en quelque sorte le bastion avancé. C’est par ce promontoire que l’archipel britannique a été soudé à notre Europe, dont il n’a été longtemps qu’une péninsule dentelée ; et on conçoit très bien que la question du rétablissement artificiel de l’isthme, qui existait à une époque géologique toute récente, et que la création d’un passage continu et permanent ail été imaginée, désirée, proposée même, et ait donné lieu à des projets sérieusement étudiés. L’exécution de cette œuvre, dont nous aurons lieu de parler plus loin, n’est sans doute pas prochaine ; elle a rencontré, elle rencontrera certain-ment bien des résistances et a contre elle des sentimens d’une nature très complexe et qui sont peut-être difficiles à justifier. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’en l’état actuel de la science de l’ingénieur, après les études approfondies des couches géologiques que