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l’on aurait à traverser, si l’on adoptait la solution d’un forage sous-marin, ou qui auraient à supporter les piles d’un viaduc gigantesque, si l’on préférait une traversée à l’air libre, l’œuvre est de celles que l’on ne considère plus aujourd’hui comme un rêve fantaisiste ou une séduisante utopie, que sa réalisation est possible et qu’elle ne paraît pas devoir dépasser les forces dont nous pouvons disposer.

Pour le moment, et probablement pour longtemps encore, la communication entre la France et l’Angleterre a lieu par mer ; et Boulogne est l’un de nos trois ports du Nord qui sont pour ainsi dire les points de soudure de la triple chaîne qui relie les deux pays et établit entre eux des relations plusieurs fois quotidiennes et un lien presque continu que des tempêtes exceptionnelles peuvent seulement interrompre pendant quelques heures. La première est la chaîne de Dieppe à Newhaven, la seconde celle de Boulogne à Folkestone, la troisième celle de Douvres à Calais ; les deux dernières ayant l’avantage de franchir le détroit dans sa plus faible largeur, — 30 ou 33 kilomètres environ, — la première ayant celui d’un parcours plus rapide sur le continent pour se rendre de Londres à Paris.


II

Cette proximité de la terre britannique, qui permettait autrefois, comme elle le permet aujourd’hui, aux bateaux de toute nature, de traverser le détroit à la voile ou même à la rame en cinq ou six heures, pourvu que le vent ne soit pas tout à fait contraire ou la mer exceptionnellement démontée, a dû faire de cette partie de nos côtes du Nord la dernière étape de la navigation phénicienne, si active avant même l’origine de notre ère et qui, depuis le détroit de Gadès, longeait tout le littoral de l’Ibérie et de la Gaule avant de mettre directement le cap sur les îles Cassitérides où l’on allait chercher ce précieux étain qui était alors, comme l’ambre, le plus riche élément du trafic et le principal instrument d’échange du commerce ; et très certainement les nombreux petits fiords, qui découpent le massif boulonnais et qu’on désigne si bien dans le pays sous le nom de « crans, » ont été autrefois des havres de secours, précieux pour les navires entraînés par les courans littoraux ou poussés à la côte par les vagues et les vents toujours dangereux du large. Ces