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Paul Orose ne permettent pas de douter de sa réalité ou tout au moins de ses préparatifs et d’un commencement d’exécution. « On assure, dit Tacite, que Caligula avait le projet d’envahir la Bretagne ; mais cet esprit léger, sans cesse en opposition avec lui-même, fit pour la Bretagne comme pour la Germanie, et ne forma d’immenses préparatifs que pour les abandonner. » Caligula, peut-on lire encore dans le résumé fait par le moine Xiphilin de Constantinople des parties perdues de l’histoire romaine de Dion Cassius qu’il a reconstituées, vint sur le bord de la mer « comme pour faire la guerre aux Bretons. » Or, le port d’embarquement de la Gaule pour la Bretagne, pour une armée revenant des bords du Rhin, était et ne pouvait être que Gesoriacum.

Ce fut à Gesoriacum que Claude, qui fit, lui, à l’inverse de Caligula, une campagne sérieuse dans l’île de Bretagne, d’où le druidisme envoyait en Gaule de continuelles provocations, réunit son armée et sa flotte. Claude, d’après Suétone s’embarqua à Ostie ; mais, comme il faillit être submergé deux fois près des îles d’Hyères, par suite de ces terribles coups de vent de mistral si fréquens dans la Méditerranée, il débarqua prudemment sur la côte de la Narbonnaise et préféra se rendre par terre de Marseille à Gesoriacum, où il fit même construire un arc de triomphe. Là seulement il reprit la mer. C’est aussi Gesoriacum qui fut, d’après Ammien Marcellin, le port de départ pour des expéditions analogues de l’empereur Maximilien, des armées de Julien l’Apostat et de Théodose le Grand, et une des résidences de l’usurpateur Carausius, de Constance Chlore et de Constantin.

Malgré l’obscurité et l’incertitude des textes, on peut donc regarder comme à peu près certain que Caligula, revenant des bords du Rhin avec ses légions fatiguées d’une ridicule parade militaire, conçut un moment le projet d’envahir, comme César, la grande île de Bretagne et s’embarqua même à cette intention sur le détroit ; mais que, le hasard lui ayant heureusement procuré, sur le sol même de la Gaule, la soumission volontaire d’un chef breton exilé, il profita de cette bonne fortune pour se faire décerner une fois de plus les honneurs attachés au titre d’imperator, et voulut laisser de son prétendu triomphe un souvenir plus durable que les pompes du Capitole en élevant au sommet de la falaise de Gesoriacum un monument grandiose destiné