Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lors même qu’elle serait parfaitement réelle, nous ne pourrions encore nous en assurer par la vision, ni directement, ni indirectement. L’œil nu serait hors d’état, cela va sans dire, de distinguer, à raison de son extrême petitesse, une molécule isolée. Armé du microscope le plus puissant non pas seulement qui existe, mais qui puisse exister, l’œil serait encore incapable, à cause des phénomènes de diffraction, c’est-à-dire en raison de la constitution même de la lumière, d’apercevoir aucun objet plus petit qu’un dixième de micron[1]. Nos instrumens actuels nous permettent d’arriver jusque-là. Ils sont donc bien près d’avoir atteint la limite de la pénétration que leur assigne la nature des choses.

Il suffit donc que les atomes et les molécules les plus volumineuses aient un diamètre inférieur au dixième de micron, — et tel est bien leur cas[2], — pour nous être fatalement inaccessibles.

L’expérience et le témoignage des sens ne peuvent donc rien et ne pourront rien, éternellement, pour nous assurer d’une structure de la matière que nous n’en considérons pas moins comme étant hors de discussion. Il y a plus : si loin que nous poursuivions nos investigations, le témoignage des sens est nettement contraire à cette vérité certaine. En effet, on a examiné au microscope des corps étalés en lames d’une épaisseur moindre que 1/10 de micron ; on a aminci des feuilles d’or jusqu’à 25/100 de micron ; on a observé des membranes de bulle de savon n’ayant plus que 5 millièmes de micron d’épaisseur, épaisseur mesurée avec une précision indubitable au moyen du phénomène des anneaux de Newton ; enfin, lord Rayleigh a étalé des couches d’huile à la surface de l’eau, de manière à ne plus leur laisser qu’une épaisseur de deux millièmes de micron ; — et, dans tous ces cas, les corps examinés n’ont manifesté aucune discontinuité, comme cela aurait dû arriver, si les molécules ou les atomes constitutifs atteignaient ces dimensions. Ces préparations n’ont laissé apparaître ni le grain, ni la trame de la substance.

On pourrait donc dépasser beaucoup le terme assigné au

  1. Le micron est le millième de millimètre.
  2. La théorie cinétique assigne aux molécules gazeuses un diamètre qui varie entre un millième et un dix-millième de micron. C’est une grandeur qui est au millimètre, ce que le millimètre lui-même est au kilomètre. Il y en aurait dans un litre 550 milliards de trillions (55 X 1022), nombre qui passe l’imagination.