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que dans les journaux français. Les Allemands ont néanmoins réduit, non pas dans toute leur armée, mais dans l’infanterie, la durée du service militaire à deux ans, et c’est leur exemple qu’on invoque en France sans prendre la peine de s’assurer si nous sommes dans des conditions analogues aux leurs, et si les mêmes mesures produiront chez nous les mêmes effets que chez eux. Nous manquons d’hommes. On vient de voir la difficulté qu’a rencontrée le général André, et les habiles calculs auxquels il s’est livré pour réunir une armée de 569 000 hommes. M. de Freycinet les a refaits après lui. Ils se sont vus obligés l’un et l’autre de supprimer toutes les dispenses et de chercher des hommes dans tous les coins. En Allemagne, c’est le contraire : au lieu de n’avoir pas assez d’hommes, on en a trop, et, comme les ressources du budget sont limitées, on est forcé d’en éliminer. C’est pour cela, et non pas pour une autre raison, qu’on a partiellement supprimé une classe et réduit dans l’infanterie le service à deux ans. Partant de deux situations aussi différentes, comment pourrions-nous arriver aux mêmes effets en appliquant la même mesure ? En ce qui concerne les dispenses, nous les supprimons sans pitié, ni miséricorde. Le service obligatoire pour tous, que nous lui avons emprunté, n’est tolérable en Allemagne et n’y est toléré qu’à cause du nombre très élevé des dispenses. Pourquoi, d’ailleurs aurait-on cherché à les diminuer, puisqu’on avait trop d’hommes et qu’on ne savait comment les encadrer ?

Enfin, il y a une différence fondamentale entre la manière de procéder de l’Allemagne et celle que proposent chez nous M. Rolland et M. le ministre de la Guerre. Les Allemands n’ont pas fait une loi pour réduire le service militaire à deux ans. Ils n’ont eu garde de s’enchaîner d’une manière aussi étroite. Ils n’ont pas fait une réforme, mais une simple expérience, et la même décision impériale qui l’a ouverte pourrait la clore demain, si elle produisait de mauvais résultats. On n’est, en réalité, lié par rien. En serait-il de même en France, si la loi, une fois votée, venait à découvrir des défauts imprévus ? Après avoir promis le service de deux ans à un pays comme le nôtre et le lui avoir donné, pourrait-on le lui retirer ? Quel est le gouvernement qui oserait le proposer et qui serait assez fort pour le faire ? Il ne faut pas se dissimuler, — et M. Prévet l’a dit avec une grande clairvoyance, — qu’il y a quelque chose d’irréparable dans la réduction chez nous du service militaire à deux ans. Tant pis si l’on s’est trompé, si larmée a été déplorablement affaiblie, si l’on ne trouve pas le nombre des rengagés sur lesquels on avait compté ! On