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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/244

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les trouvera, dit M. le général André, pourvu que le parlement vote des crédits suffisans. Sans doute : avec de l’argent, beaucoup d’argent, on peut toujours se procurer les hommes dont on a besoin. Est-ce que toute l’armée anglaise ne se compose pas de mercenaires ? Mais l’Angleterre sait ce que son armée lui coûte, et, dans l’état de nos finances, ce n’est pas sans inquiétude que nous enisageons la surcharge financière qui incombera au pays du fait de la loi nouvelle. Le jour viendra peut-être où notre richesse amoindrie obligera le parlement et le gouvernement à se montrer plus économes, et nous ne sommes pas sûrs que M. le ministre de la Guerre trouve alors, et toujours, les sommes qui lui seront indispensables pour se procurer les rengagemens qu’il a escomptés devant le Sénat. Entre le ministre des Finances qui songera à équilibrer son budget, et lui qui songera, si l’on nous permet le mot, à équilibrer son armée, quel est, en fin de compte, celui qui l’emportera ?

Et pourtant nous sommes loin de dire que, lorsque la loi sera votée, on n’y touchera plus. C’est le contraire qiii est vrai : on y touchera certainement. M. le ministre de la Guerre, à la fin de son discours au Sénat, a dit un mot qui est tout à fait exact et dont il faut le remercier, à savoir que la loi future fera peser sur le pays des charges plus lourdes que la loi actuelle. S’il a voulu seulement parler des charges financières, le fait est d’une vérité si évidente qu’il ne valait même pas la peine d’être énoncé ; mais il est probable que M. le général André a vu plus loin que la poche des contribuables, car ce n’est pas elle seulement qui sera atteinte. La suppression de toutes les dispenses est une mesure tellement draconienne que la pensée hésite et se trouble en y songeant. Rien de pareil n’existe dans aucun pays au monde. Nous avons déjà dit qu’en Allemagne les dispenses étaient nombreuses, et qu’elles étaient la soupape de sûreté du service obligatoire pour tous. Nous, nous ne ferons grâce à personne ; chacun devra faire deux ans entiers, et cette loi égalitaire ne s’appliquera pas seulement aux jeunes gens qui se destinent aux carrières libérales, mais aux soutiens indispensables de famille, aux fils aînés de veuves ou de septuagénaires, aux frères qui auront déjà un aîné sous les drapeaux. Si la loi sacrifie impitoyablement tant d’intérêts divers, elle se présente au moins avec une apparence démocratique propre à séduire au premier abord : mais cette apparence est menteuse. En réalité, les pauvres souffriront de cette égalité infiniment plus que les riches. Ceux-ci et leurs familles se tireront toujours d’affaire ; il n’en est pas de même des autres, qui d’abord sont les plus nombreux, et