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de Ceylan. La jungle est pleine d’arbustes fleuris. Les hauts palmiers-fuseaux, qui étaient hier si jaunes et desséchés, ont ici de luxurians bouquets d’éventails, les cocotiers reparaissent en masse, avec leurs grandes plumes vertes, et les banians de la route éploient leurs chevelures jusqu’à terre, font dôme partout au-dessus de nos têtes. Le pays semble n’être plus qu’une immense solitude d’arbres, un inextricable fouillis vert. Et cependant nous croisons maintenant, le long de notre chemin ombreux, beaucoup de monde, des gens en charrette à zébus comme les nôtres, des pâtres menant des troupeaux, et surtout des cortèges de femmes, d’innombrables files de femmes portant des charges sur la tête dans des corbeilles de sparterie.

Çà et là, un petit temple en granit, d’une antiquité imprécise, voûté de pierres plates, rappelant en miniature les monumens de l’ancienne Égypte. Ou bien, sous quelque banian plus énorme, qui est devenu sacré à force d’être vieux, une tombe de saint fakir, enguirlandée de fleurs fraiches, une statue de Ganesa, le Dieu à tête d’éléphant, qu’une main pieuse a ornée d’un collier d’œillets d’Inde enfilés avec des roses.

C’est cependant une surprise, une déception pour les yeux, que ces femmes rencontrées en si grand nombre ne soient pas plus jolies, quand la plupart des hommes sont beaux : la couleur bronze leur sied moins bien qu’aux visages mâles, l’épaisseur des lèvres, qui se dissimulait sous les moustaches viriles, paraît chez elles excessive, et, à part quelques très jeunes, aux contours purs comme ceux des Tanagra, presque toutes ont la poitrine hâtivement déformée, d’ailleurs sans aucune draperie pour en masquer le déclin. Elles portent une boucle d’or passée dans chaque narine et le lobe de leurs oreilles, allongé démesurément par le poids des anneaux, chez les vieilles traîne jusque sur l’épaule. Il est vrai, ce sont des femmes de parias ; celles des hautes castes ne courent point les routes en charriant des fardeaux, et nous ne les avons pas vues encore.

De distance en distance, on a charitablement construit des reposoirs pour toutes ces porteuses des chemins : de solides tables en granit, à hauteur humaine, permettant de se débarrasser un moment de la charge, et de la replacer ensuite sur la tête, sans avoir la fatigue de se courber jusqu’à terre.

D’ailleurs, partout quelle tranquillité charmante ! Quel calme édénique, dans ces rares villages, nichés sous la verdure !...