Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petites lampes veilleuses, à huile de cocotier, brûlent dans des niches du mur, pour conjurer les mauvais Esprits des ténèbres.

22 décembre. — Avec de grands saluts, on m’éveille tout à fait, et c’est le matin, la pointe fraîche de l’aube ; c’est le village de Nagercoïl, où je dois passer la journée, pour ne repartir qu’au déclin du soleil. La chaîne de montagnes que je regardais hier en avant du chemin profilée sur le couchant rouge, est maintenant derrière moi, dans le rose pâle de l’horizon qui s’éclaire ; nous l’avons franchie pendant la nuit, et nous sommes au Travancore. Cette maisonnette à vérandah, devant laquelle on vient d’arrêter mes zébus, c’est l’hôtellerie, et cet Indien en robe blanche, qui s’incline en portant les deux mains à son front, c’est l’hôtelier qui m’attendait, ayant reçu des ordres pour me réserver tout le logis.

Comme dans chaque village de l’Inde, cette « maison du voyageur » se compose d’un simple rez-de-chaussée, trois ou quatre pièces bien blanchies à la chaux, bien nettes et presque vides, avec des canapés en rotin pour y dormir. Et, à cause de l’ardent soleil, le toit déborde largement tout autour, soutenu par de grosses colonnes trapues.

Le bain ; le déjeuner, sous les éventails agités par des serviteurs nonchalans. Et puis la mélancolie du demi-soleil méridien, dans le grand silence clair, avec la visite des corbeaux, sautillant sur le parquet de ma chambre.

A 2 heures, une dépêche du Dewan (ministre du Maharajah), pour m’annoncer qu’une voiture attelée de chevaux doit se tenir à mes ordres, en un village de la route appelé Neyzetavaray, à partir de 11 heures du soir. Et je décide de partir à l’instant, afin d’arriver cette nuit même, au lieu d’attendre la chute du soleil, comme c’est ici l’usage, et de dormir en charrette jusqu’au matin.

Sous un étincellement de lumière blanche, le départ, et le salut à deux mains de l’hôtelier, et le muet quémandage des serviteurs de bronze, alignés devant ma charrette, y compris l’obligatoire pauvre vieille femme presque nue qui, dans toutes les auberges de l’Inde, a mission de déverser l’eau des bains. Distribution à tout ce monde des petites pièces en argent du Travancore, maniées aujourd’hui pour la première fois, toutes petites pièces épaisses qui semblent de gentilles graines brillantes, — et nos zébus prennent le trot, dans l’accablante chaleur.

Une région de plus en plus feuillue, égalant bientôt les magnificences