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l’heure des visites, des cérémonies, contrairement à ce qui se passe chez nous. Et je suis avisé que demain à cette heure-là je pénétrerai dans l’enceinte brahmanique pour être présenté au Prince.

A l’approche de midi, malgré tant de palmiers et tant d’ombre la vie s’arrête sous le soleil vertical ; partout somnolence et torpeur ; les éternels corbeaux eux-mêmes se taisent, posés à terre sous l’abri des feuillages.

Certain chemin que je vois, de ma vérandah, se perdre dans la nuit verte, va devenir désert jusqu’à ce soir. Quelques derniers passans encore, qui rentrent dans leurs maisons de chaume ; Indiens ou Indiennes pareillement vêtus du pagne écarlate le torse d’un brun ardent à reflets de cuivre, ils vont pieds nus sans faire de bruit : personnages rougeâtres sur la terre couleur de sanguine, et tous ces rouges s’avivent par contraste avec le vert éclatant des palmes. Parfois aussi le sol de ce chemin tremble sous des pas lourds et cependant presque silencieux- ce sont des éléphans du Maharajah qui reviennent, songeurs de quelques travaux rustiques et regagnent les écuries du palais pour y dormir. Ensuite on n’entend plus rien. Et alors les petits écureuils sauteurs, habitans des arbres, les seuls qui soient agités d’une perpétuelle frénésie de mouvement, entrent dans ma chambre, enhardis par le silence.

Le soir, quand recommence l’activité humaine, je sors de ma retraite, dans une voiture du Maharajah où la vitesse des chevaux procure une illusion de fraîcheur.

Mes alentours sont la partie nouvelle de Trivandrum Les arbres n’y règnent plus en maîtres ; on y a dégagé des pelouses et percé de belles avenues sablées. Il s’y trouve, disséminés au milieu de jardins, tous les monumens nécessaires à la vie modernisée d’une capitale : ministères, hospices, banques et écoles. Ces choses eussent moins détonné si on les avait construites en style un peu indien : mais, à notre époque, il faut prendre son parti de rencontrer les mêmes erreurs de goût dans presque tous les pays du monde. Il s’y trouve aussi des églises et des chapelles, protestantes, latines ou syriaques, ces dernières plus anciennes, avec des façades naïves. Ce n’était cependant point pour voir tout cela que j’étais venu au Travancore, et je commence à comprendre combien il est difficile d’entrer en contact avec l’Inde brahmanique, l’Inde profonde, même ici, où je la sens si