près de moi, toujours vivante et immuable, me troublant de son mystère...
En dehors de ces nouveaux quartiers, les palmes étendent leur voûte souveraine sur tout l’immense Trivandrum des Indiens de basse caste ; maisonnettes de roseaux, vieux petits temples de granit et de chaume, à demi cachés parmi les hauts cocotiers éternels : là, c’est le pays de l’ombre, et les avenues semblent d’étroits couloirs dans la nuit verte.
Une seule véritable rue, celle par où j’étais arrivé au clair des étoiles et qui mène à la porte de l’enceinte sacrée. C’est la rue des marchands, le lieu où se concentrent tout le mouvement et tout le bruit de cette ville plutôt silencieuse. À cette heure du soir, elle est pleine de monde ; il faut ralentir l’allure des chevaux ; — et on dirait un peuple de dieux, tant sont beaux les visages, tant sont nobles les attitudes, profonds et insondables les regards.
Cette foule est une mêlée de torses et de bras taillés dans le bronze, d’une perfection et d’une grâce de bas-relief antique.
Brahmes affinés et superbes, dédaigneux des costumes et des parures, vont moins vêtus encore que les hommes de moyenne caste ou que les parias. Autour des reins, un pagne en toile d’un blanc neutre, et, passée en bandoulière sur leur poitrine nue, rien que la petite cordelette de lin, signe extérieur de la caste, que le prêtre a nouée là au moment de la naissance et que l’on ne quitte jamais plus, la cordelette sacrée avec laquelle on vit et on meurt. Sur leur front, entre leurs graves yeux noirs, est inscrit le monogramme de leur Dieu, le sceau que l’on doit repeindre pieusement chaque jour après l’ablution matinale : un disque rouge et trois raies blanches pour les sectateurs de Shiva ; pour ceux de Wichnou, une sorte de trident blanc et rouge, qui part d’entre les sourcils, les pointes remontant jusqu’aux cheveux, et qui rend pour nous l’expression des figures plus étrangement énigmatique.
Peu ou point de femmes, bien qu’au premier abord ces longues chevelures d’ébène vernie, nouées ou épandues sur les épaules, en donnent partout l’illusion. Et encore celles qui se montrent sont-elles de caste vile et de traits plutôt vulgaires, comme les porteuses des chemins. Dans l’enceinte réservée sans doute, habitent les épouses et les filles de ces brahmes qui le soir circulent par milliers.