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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/269

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« panka » agite l’air d’un mouvement berceur et alangui. Ils vont préluder, car toutes les figures de bêtes, aux manches des guitares, se sont dressées. Quels sons terribles vont sans doute produire des instrumens de cette taille, et quel tapage, ces tamtams ! J’attends, et me prépare à beaucoup de bruit. Derrière eux une porte cintrée reste ouverte sur un vestibule blanc, où pénètre, tout en or, un rayon de soleil au déclin, sur un groupe de soldats du Maharajah, — figurans, comparses en turbans rouges dans la lumière rouge, — tandis qu’eux, les musiciens, demeurent plongés dans l’imprécision de l’ombre.

Est-ce commencé, leur concert ? Vraiment il semblerait que oui, à les voir si graves, si attentifs et s’observant les uns les autres. Mais on n’entend presque rien... Ah ! si :... Une petite note haute, à peine perceptible à l’oreille, longuement prolongée comme au début de l’ouverture de Lohengrin, et puis qui se dédouble, se complique, se transforme en un murmure rythmé, sans faire plus de bruit pour cela... Mais quelle surprise extrême, cette musique presque silencieuse, qui s’échappe de cordes si puissantes :... Des bourdonnemens de mouches emprisonnées dans la main, dirait-on, des frôlemens d’ailes de phalènes contre une vitre, ou des agonies de libellules... L’un d’eux tient dans la bouche une toute petite chose d’acier et se frotte la joue par-dessus pour en tirer comme un susurrement de fontaine. Une des plus monstrueuses guitares et des plus compliquées, que l’on caresse de la main avec l’air d’en avoir peur, dit tout le temps, sur les presque mêmes notes : houhou ! houhou ! comme le cri voilé d’une chouette, tandis qu’une autre, en sourdine, fait comme si la mer déferlait au loin sur une plage. Il y a des tambourinemens à peine saisissables, du bout des doigts sur le rebord des tamtams... Et puis soudain, des saccades imprévues, des furies qui durent deux secondes, et les cordes alors vibrent de toute leur force, tandis que ces mêmes tamtams, frappés autrement, font entendre des coups profonds et sourds, comme une progression lourde d’éléphans sur un sol creux, ou bien imitent des grondemens d’eau souterraine, de torrent qui bouillonnerait dans un abime... Mais, très vite tout s’apaise, et le quasi-silence retombe.

Assis à terre les jambes croisées, un jeune brahme, aux admirables yeux, tient sur ses genoux un objet dont la rudesse sauvage contraste avec le raffinement extrême des autres : une