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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/283

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La lagune, devant nous, s’ouvre au soleil, en coupée droite et profonde, dans l’épaisse futaie des palmiers. Les rameurs au départ s’excitent par des chansons et des cris ; nous fendons l’eau pesante, saturés de germes, et voici commencée notre tranquille navigation, qui durera trois jours.

Les palmes, sur les deux rives, se succèdent en rideau sans fin, mêlées à des banians au tronc multiple ; des guirlandes de fleurs inconnues se suspendent aux branches, et de grands lys d’eau, mouchetés, échevelés, jaillissent comme des fusées parmi les joncs.

Des barques, qui arrivent à Trivandrum, à chaque instant croisent la nôtre : la lagune est la plus grande voie de communication de ce pays tranquille. Des barques immenses, en forme de gondole, qui sont lentes et ne font pas de bruit ; les bateliers aux beaux gestes plastiques les mènent en poussant du fond avec des perches ; elles portent aussi des maisons de poupe, remplies d’Indiens et d’Indiennes, et tous ces grands yeux très noirs nous regardent, nous, gens plus pressés, qui ramons à quatorze bras.

De temps à autre quelque oiseau merveilleux, un martin-pêcheur trop éclatant et trop bleu, traverse au ras de l’eau, très vite, avec un cri de joie. Il y a des bancs de nénufars fleuris, des bancs de lotus comme des nappes roses.

La lagune interminable, qui nous sert de route, varie ses aspects avec l’heure. Tantôt, resserrée et ombreuse, sous ces cocotiers qui se rejoignent en voûte, elle semble la nef de quelque église verte, dont les grandes nervures des palmes seraient les arceaux. Ensuite elle s’élargit, déborde, inonde les lointains ; entre ses rives, où les mêmes palmes se pressent en rideau, elle devient comme une mer semée d’archipels de verdure.

Le soleil monte et, malgré l’ombre, malgré l’eau remuée, on sent par degrés s’alourdir la torride chaleur. Notre vitesse pourtant n’en est point ralentie ; ils vont toujours de même, mes bateliers, leur chef de temps à autre les excitant par un appel impérieux de la langue, qui fait roidir comme un coup de fouet tous leurs muscles et auquel ils répondent par des cris en fausset, pareils à des cris de singe. Toujours aussi vite, le long de la barque, défilent les herbages proches, les branches folles des lys, les gerbes épanouies des roseaux.

Dix heures. Ma barque maintenant chemine, non plus sous les palmiers, mais sous le ciel bleu, dans un couloir étroit comme