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ses actes et ses écrits est bien trop profond pour n’avoir pas été inconscient. Entre ces écrits littéraires et ces actes royaux, la Correspondance politique nous offre en quelque sorte un moyen terme, un terrain de conciliation. Il n’est pas sans intérêt de mettre aujourd’hui en lumière ce que cette publication nous apporte de nouveau sur la physionomie du roi de Prusse, et il vaut peut-être aussi la peine d’examiner à l’aide de ce document le double problème de psychologie que nous pose le grand Frédéric en tant qu’homme et en tant que politique. Avant d’étudier l’homme, nous étudierons en lui le politique, en regardant d’abord sa méthode de travail, avec ses qualités et ses défauts, puis ses moyens et son but dans l’accomplissement de ce « service public » qu’est pour lui le métier de roi.


I

On sait quel mépris inspiraient au grand Frédéric ces rois en tutelle qui règnent et ne gouvernent pas. Lui-même, il s’est fait un honneur de diriger en personne toute la machine de l’Etat prussien ; mais c’est surtout dans le gouvernement extérieur qu’il veut être le moteur unique de cette machine, et, en feuilletant les pages de la Correspondance politique, on reste étonné de voir comme en effet il sait tout, il voit tout, il fait tout par lui-même, avec un souci jaloux de ne subir ni conseil ni influence, et d’être vraiment, selon sa belle expression, l’âme de la Prusse.

De son cabinet de Potsdam, il tient en main tous les fils de sa politique. Tout part de là et tout aboutit là. Lui-même, il ouvre ses dépêches, souvent il les déchiffre lui-même. Il écrit de main propre à tous ses agens à l’étranger. Ce ne sont pas de brillans personnages que ces agens, mais ils ont pour Frédéric la première des qualités, ils savent obéir au maître qui les dresse, les travaille, et sait en tirer l’effet utile. Parcourez par exemple quelques-unes des instructions diplomatiques dressées par les ministres de Louis XV : ce qui frappe, c’est le vide et le vague de ces longues périodes sans idée directrice, sans fait positif, pompeusement développées sur un ton de vaine philosophie. Voyez au contraire les dépêches, assez courtes en général, de Frédéric à ses agens : tout est concis et concret, chaque mot porte, les ordres sont brefs, les questions se pressent nettes et