Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si l’un de ses éclats de voix s’est entendu d’un peu loin. Puis, le choix fait, Frédéric ne néglige rien pour s’informer du caractère du « bon sujet, » savoir « s’il a de la vanité, s’il aime à être flatté, et de quelle façon il faut s’y prendre pour gagner sa confiance. » A Potsdam, même aux temps de calme, un diplomate lui fait-il demander audience : « Je lui parlerai, » répond le roi, « mais je veux savoir d’avance de quoi il est question. » Enfin, quand il a trop peur de se laisser deviner, sa ressource dernière, c’est de fermer sa porte et de « faire le malade. » Malgré tout, Frédéric voit beaucoup trop les diplomates étrangers, il leur parle beaucoup trop ; tous à sa cour ils savent qu’il n’est pas très difficile de le pénétrer en le faisant parler beaucoup, chose qu’il adore, et l’un d’eux, lord Tyrconnell, disait un jour de lui, brutalement : « Ce prince est né indiscret. » — Heureusement il y a des ministres à Berlin, qui, bien qu’on n’aime pas à les écouter, bien qu’on leur dise peu de chose des grandes choses, connaissent le roi mieux qu’il ne se connaît, et s’efforcent de le garder contre sa vivacité mieux qu’il ne se garde lui-même. Un jour, Podewils ira trouver Frédéric un peu avant l’audience diplomatique pour bien peser avec le roi les termes de certaine déclaration à faire, « et bien employer toutes les chevilles dont une matière aussi délicate est susceptible. » Une autre fois, sous un prétexte, il empêchera lord Hyndford d’aller parler au roi à un moment où Frédéric « a la bile échauffée et risquerait de le traiter par trop mal. » Contre les écarts de la plume, on prend les mêmes précautions, et les ministres s’entendent en secret avec le secrétaire intime pour surveiller de près la correspondance royale, pour arrêter au passage telle réponse provocante pour l’Angleterre, telle lettre injurieuse à Louis XV qui eût passé pour une déclaration d’hostilités. Sans doute leurs représentations échouent parfois et ne font que leur attirer une averse de gros mots qu’ils reçoivent dignement, la conscience en paix, et qui ne les empêchera pas de recommencer à l’occasion. Mais souvent ils réussissent à prévenir quelque fausse manœuvre, et justice leur est parfois rendue comme le jour où Frédéric, ayant adressé au ministre impérial, le comte de la Puebla, un mémoire fort vif qui froissa les amis comme les ennemis de la Prusse, écrivit alors, un peu penaud, à ses ministres : « Si Jamais il m’arrive de faire un pareil écrit, il faudra fourrer le nez dans les archives, avant de mettre la plume à la main. »