Les ennemis du Duc de Bourgogne ne l’avaient pas laissé sans railleries partir pour prendre le commandement d’une aussi importante armée. Les chansons malicieuses ou même calomnieuses jouaient alors le rôle que joue de nos jours la presse d’opposition. Pour connaître les dessous de la Cour, il faut feuilleter le Chansonnier français où elles sont réunies, et corriger ainsi par leurs cruelles satires la lecture de l’officieux Mercure. Voici l’une de celles que les malveillans s’en allaient fredonnant tout bas sur l’air : De tous les capucins du monde :
Prince, partez pour la victoire ;
Revenez tout couvert de gloire,
Et par mille exploits prouvez-nous
Que vous valez mieux qu’on ne pense,
Et que c’est mal juger de vous
Que de juger sur l’apparence.
Quand l’hiver on ne vous voit faire
Que confession et prière,
Vivre à la cour, comme au désert.
Blâmer les jeux et les spectacles,
Pour soutenir un tel hiver
Il faut un été de miracles[1]
Le Prince avait amené avec lui son confesseur habituel, le Père Martineau, comme il avait fait au siège de Brisach, et l’on se souvient peut-être de la peine que Tallart avait dû prendre pour empêcher ce directeur trop zélé d’accompagner son pénitent à la tranchée[2]. C’était encore, pour les libertins, matière à raillerie, et ils chantaient sur l’air de Joconde :
Grand Prince en qui nous avons mis
Toute notre espérance,
De votre aïeul suivez l’avis
Avec obéissance ;
Du saint démêlez l’imposteur,
De la peur la prudence,
Et gardez-vous qu’un confesseur
Ne gouverne la France.