Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il fallait en croire le récit de Bellerive, auquel nous nous sommes déjà plus d’une fois reporté, Louis XIV, après avoir reçu les deux lettres de Vendôme, aurait tenu « un Conseil suprême » où il aurait pris la sage résolution de rappeler le Duc de Bourgogne et de laisser le commandement au seul Vendôme ; résolution dont la mise en exécution aurait été paralysée par l’intervention de la « dame Maintenon, » qui prévint la Duchesse de Bourgogne, et par celle de la Duchesse de Bourgogne elle-même, qui « se jeta aux pieds du Roi, embrassa ses genoux, et lui dit : Ah, mon papa ! M. de Bourgogne est déshonoré, si vous le rappelez[1]. » Mais cette scène où la Duchesse de Bourgogne aurait parlé à Louis XIV sur le ton dont la petite Louison parle à Argant dans le Malade imaginaire, ne s’est jamais passée que dans l’imagination de Bellerive. La vérité, c’est que, dans cette conjoncture difficile, Louis XIV se conduisit au contraire avec beaucoup de prudence. Il ne voulut donner tort ou raison ni à son petit-fils, ni au général en qui il avait mis sa confiance. Il essaya d’apaiser le conflit en adressant de bonnes paroles à l’un et à l’autre. « Je suis bien fâché, écrivait-il au Duc de Bourgogne, que la première occasion où vous vous êtes trouvé n’ait pas eu un événement plus heureux. Il ne faut point perdre courage. Vous devez même rassurer les officiers et les troupes par vos discours et votre bonne contenance. C’est dans de pareilles conjonctures que ceux qui sont au-dessus des autres doivent les rassurer... Il y aura différentes occasions où vous serez obligé de prendre votre party de vous-mesme. Ne faites rien qu’après une mûre délibération ; n’oubliez rien des moïens praticables pour être informé des mouvemens des ennemis. »

A Vendôme, il écrivait le même jour sur un ton très modéré. Il se bornait à lui dire qu’entre lui et le Duc de Bourgogne le concert n’avait pas été aussi entier qu’il devait être, et qu’il eût été plus convenable à ses intérêts de « ne pas s’exposer à un événement dont les suites ne pouvoient être que très fâcheuses ou au moins très douteuses ; » mais il s’empressait d’ajouter : « Je mande au Duc de Bourgogne que, pour éviter à l’avenir les inconvéniens

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 563.