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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/455

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la Bouteille à la mer qui, jusqu’à présent, restent les chefs-d’œuvre de la poésie symbolique en France.

De même lorsque M. André Beaunier en vient à analyser l’œuvre des Rimbaud, des Laforgue, des Viélé-Griffin, des Stuart Merril et de quelques autres, c’est pour remplacer décidément la critique par le panégyrique. Il brûle en leur honneur plus d’encens qu’on n’en a dépensé pour Hugo et Lamartine, Vigny et Musset, et même pour Verlaine. Nous ne savions pas qu’il y eût si près de nous tant de grands hommes ; et nous regrettons seulement pour l’orgueil national que ces poètes admirables soient pour la plupart des étrangers. M. Beaunier ne sait que leur décerner des éloges sans réserves et sans limites. Il les accable sous les fleurs. Trop de fleurs ! Trop d’hyperboles ! Il est peu vraisemblable qu’un ironiste si délié ait été si parfaitement dupe. On aime mieux croire que cette admiration éperdue est le jeu d’un pince-sans-rire. Car toute cette « poésie nouvelle » est déjà si ancienne, si loin de nous, que nous en pouvons, semble-t-il, juger avec équité ; et au surplus l’opinion est faite. Rarement poètes avaient eu de meilleures intentions ; et rarement en vit-on de si impuissans à réaliser leur idéal. Cette impuissance foncière restera une des caractéristiques de l’école de 1880. Elle aura été une école de théoriciens. Elle aura fait sentir le besoin d’un renouvellement et jeté dans la circulation un certain nombre d’idées, mais elle n’aura ajouté que peu de chose au trésor poétique. Des idées et pas d’œuvres ! L’homme n’est pas venu, qui, par la vertu de son génie, aurait fait passer le symbolisme de l’ordre de la spéculation dans celui des réalités. Par malheur, l’influence des théories se mesure en art à la valeur des œuvres qu’elles ont fait naître. Faute d’un individu capable de le confisquer à son profit, de lui imprimer une direction décisive et de l’imposer après lui, le mouvement symboliste n’a pas eu les effets qu’on aurait souhaités. La poésie d’aujourd’hui lui échappe et reprend peu à peu les erremens de jadis. C’est ce qui frappe quand on parcourt les recueils publiés depuis deux ans par les poètes les mieux doués et dont quelques-uns sont des nouveaux venus en littérature.

Le dernier volume qu’ait publié M. Henri de Régnier : les Médailles d’argile[1] est dédié à André Chénier. Cette dédicace est assez significative. Vers le même temps, Albert Samain[2], ciselait savamment des

  1. H. de Régnier, les Médailles d’argile, 1 vol. in-12 (Mercure de France).
  2. A. Samain, Aux Flancs du vase. Polyphème et poèmes inachevés, 1 vol. (Mercure de France).