Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pièces qu’on aurait pu croire traduites de l’Anthologie, et exprimait à sa manière le désespoir amoureux du héros de Théocrite : Polyphème. Ils ont eu déjà beaucoup d’imitateurs. C’est donc que le règne des assembleurs de nuages est terminé : après avoir vainement essayé d’acclimater chez nous une poésie brumeuse, aux contours incertains, au dessin tremblé, on a senti le besoin de revenir à une poésie lumineuse et simple. C’est le même fait qui s’est tant de fois déjà reproduit dans l’histoire de notre poésie et qui, au temps de Ronsard comme à celui de Chénier et de Leconte de Lisle, consiste à revenir aux modèles grecs pour reprendre en quelque sorte le ton. Au surplus, si M. de Régnier s’est jadis prêté à l’esthétique symboliste, ç’a été sans jamais s’y enchaîner. S’il continue à user des vers libres dans quelques pièces, emploi qui se justifie pour des pièces très courtes, chansons, complaintes ou causeries, son volume se termine sur une série de sonnets qui sont d’un pur parnassien. Il y regarde défiler devant lui les Passans du passé, un soldat, un gentilhomme, un huguenot, etc., et il en décrit à mesure figure, altitude et costume. Ce sont autant d’évocations pittoresques, de tableautins d’une facture impeccable.

À travers les courtes pièces des « Médailles » ou les poèmes plus étendus qui s’intitulent : le Bûcher d’Hercule, Hélène de Sparte, la Nuit des Dieux, le rêve du poète se précise. Ce rêve est le plus impersonnel qui se puisse imaginer. Non seulement le poète n’y a rien mis des anecdotes de sa sensibilité, mais on n’y voit pas même passer le reflet de son temps. Les partisans de la théorie des milieux auront quelque peine à en expliquer la genèse chez un contemporain de la troisième République et de l’automobilisme. Tantôt le poète reprend un mythe ancien pour en donner une interprétation nouvelle : il imaginera, par exemple, que dans les tisons croulans du bûcher d’Hercule il voit se dessiner la forme des monstres vaincus par le héros et peu à peu l’hydre, le lion, les taureaux renaître de la cendre du bûcher et de la mort de leur vainqueur. Tantôt se plaît à ressusciter dans sa simplicité de lignes et dans sa fraîcheur une scène antique : au bord de la source vient se mirer la faunesse, dont il modèlera dans l’argile le visage inquiet et farouche ; ou bien il surprend dans la treille un maraudeur à la face camuse, qui fait crier les feuilles mortes sous l’ongle de son sabot. Il s’enfonce dans la forêt pour y surprendre la dryade et le sylvain ; il guette sous la lune la danse du satyre et croit dans la rumeur marine entendre le chant de la sirène. Mais ces divinités de la jeunesse du monde n’habitent plus notre terre vieillie, et la Muse montre au poète dans un détour du Styx :