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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/470

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— Mais, en ce cas, pourquoi ne travaillez-vous pas ? dit Luc.

— J’attendais que le foin fût sec, pour l’étendre !

— Du moins, en attendant, ne pourriez-vous pas aller chercher de cette graisse que vous avez à employer pour le cheval ?

— Quelle graisse, votre révérence ?

— Le curé dit que vous ne donnez pas au cheval sa ration de graisse de coudes ! reprit Luc.

Le valet fixa sur le jeune vicaire un regard perçant, puis il se détourna, baissa la tête, et rit en son intérieur comme il n’avait jamais ri de sa vie. Mais c’est avec une solennité d’autant plus accentuée, qu’il dit, au bout d’un instant :

— Fort bien, votre révérence, j’y aviserai !

Et le village entier eut là, pour de longues semaines, une source inépuisable d’hilarité. Les plus graves, même, ne pouvaient s’empêcher de sourire, au passage du jeune vicaire. Et celui-ci songeait qu’il n’y avait pas de temps à perdre pour civiliser cette race de sauvages.

Luc se rendit ensuite à l’école de Dorrha. C’était une pauvre petite école de la montagne, avec une soixantaine d’élèves. Quelques cartes de géographie tout effacées, sur les murs ; une horloge qui ne marchait pas ; un tableau noir déverni, où la craie refusait d’écrire. Le maître d’école salua, très bas, le nouveau vicaire.

— Votre révérence voudrait-elle examiner une classe ?

— Volontiers.

— Et quelle classe ?

— Oh ! peu importe ! Voyons les grands !

Les enfans parurent fort effrayés, surtout lorsque Luc leur recommanda de tenir la tête haute. Hélas ! ce n’était pas chose si facile pour ces pauvres petits ! Le fardeau de sept siècles de servitude pesait sur eux !

Et puis Luc était peut-être trop exigeant.

— Si vous voulez lire l’anglais convenablement, — leur expliquait-il, — vous devez prononcer toutes les lettres qui sont dans les mots, et ne pas en prononcer d’autres, qui n’y sont pas. Ici, il y a un g ; pourquoi l’élidez-vous ? Et pourquoi mettez-vous un h dans cet autre mot ? Allons, relevez la tête ! Regardez-moi bien en face ! etc.

L’ignorance des élèves le révoltait. Il se dit qu’il aurait à recommencer toute leur éducation, sur un fondement nouveau.

— Avez-vous quelques notions d’hygiène, mes enfans ?

Non, jamais ils n’avaient entendu ce mot-là.

— J’observe que, chez la plupart d’entre vous, les dents sont gâtées, ou en train de se gâter. Savez-vous d’où cela provient, et comment on peut l’empêcher ?

— Ça vient de manger des sucreries ! hasarda l’un des garçons.

— Oui, peut-être est-ce là une des causes secondaires ! Mais la cause directe est le manque de phosphate dans le sang. Savez-vous ce que c’est que du phosphate ?

— Oh ! oui, c’est de l’engrais !

— Mais non, vous confondez deux choses différentes !

Et Luc se mit en devoir d’expliquer la composition des dents ; il en déduisit