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premiers articles de la loi sur le service de deux ans. Rien n’a pu l’arrêter dans la voie dangereuse où il s’engageait et qu’il parcourra sans doute jusqu’au bout, car il en a traversé le défilé le plus difficile. L’opposition des orateurs les plus éloquens de la droite et du centre n’a eu aucune prise sur son esprit.

La bataille décisive a porté sur l’article 2, qui supprime les dispenses. C’est, d’après le gouvernement et la commission, la condition même de la loi nouvelle. Pour avoir sous les drapeaux les 569 000 hommes dont il a besoin, M. le ministre de la Guerre a déclaré qu’il fallait faire le sacrifice de toutes les dispenses, et on l’a fait. Cela suffit pour nous donner la certitude que la loi ne sera pas viable, car il est impossible que quelques-unes au moins de ces dispenses ne soient pas rétablies. Imposer le service militaire de deux ans à tout le monde, sans distinction ni exception d’aucune sorte, est une obligation tellement dure que nous ne pouvons pas croire qu’elle soit longtemps maintenue. elle ne le sera pas, et alors qu’adviendra-t-il de la loi ? Il faudra en faire une autre, celle qu’il aurait mieux valu faire tout de suite, car ce n’est pas sans de graves inconvéniens qu’on change à de trop fréquens intervalles la loi organique de l’armée. Nous sommes le seul pays au monde qui en commette l’imprudence. Tous les autres tiennent par-dessus tout à la fixité de leur institution militaire : nous seuls mettons, là comme en toutes choses, la mobilité et l’incertitude, et il est invraisemblable que nous ayons raison contre tous.

La loi de 1889, qu’il s’agit aujourd’hui de remplacer, était, à notre avis, inférieure à celle de 1872. elle était bonne cependant dans ses principes généraux : son seul tort est de n’avoir pas été appliquée dans l’esprit où elle avait été conçue. De là lui sont venues la plupart des attaques sous lesquelles elle sombre aujourd’hui. elle accorde des dispenses, c’est-à-dire qu’elle n’impose qu’une année, ou même que dix mois de service aux jeunes gens qui obtiennent certains diplômes universitaires. Tous ceux qui ont pu y atteindre ont voulu avoir de ces diplômes, et il n’est malheureusement pas exact, comme on l’a dit quelquefois, que le niveau de l’instruction générale en ait été relevé : c’est, au contraire, celui des examens qui a sensiblement baissé. Il faut bien l’avouer, les jurys universitaires ont mal compris leur mission. S’ils avaient été plus sévères, une élite seulement de jeunes gens aurait bénéficié de la dispense du service militaire ; on aurait pu soutenir alors que ces exceptions étaient utiles à la haute culture intellectuelle, et personne n’aurait protesté bien haut. Au lieu de cela qu’est-il arrivé ? Tous ou presque tous les élèves qui ont parcouru un