Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessein fixe, enraciné dans les cœurs français, et que nous n’avons aucune raison de croire abandonné : détruire à jamais la puissance de ce pays. » Dessein d’autant plus redoutable, que, « si les Français ont conquis le monde, c’est par des qualités par lesquelles ils méritaient de le conquérir. » Et il montra, comme une leçon, comme une menace, « la grandeur des desseins des révolutionnaires, la sagesse de leurs plans, leur suite dans l’exécution, leurs mépris des petits obstacles. » Le traité fut approuvé ; mais ces cris d’indignation, ces cris de revanche portaient loin Ils allaient accompagner sur le continent lord Cornwallis, que le ministère envoyait pour négocier cette paix, décorée du titre ironique de « définitive, » et que lord Fitz-William, exprimant la pensée de la plupart de ses compatriotes, avait qualifiée de « trêve précaire et trompeuse. »


V

Paris n’étala point de ces reviremens. Il se montra froid dès l’abord, et le resta. La critique, réduite aux murmures guettés, étouffés par la police, la critique sans tribune, sans journaux, « fructidorisée, » depuis 1797, se traduisait par la réserve, l’absence d’enthousiasme. Il y eut de la satisfaction, sans doute, la satisfaction de voir la fin de quelque chose, mais tout juste assez pour faire diversion à la nouvelle de la capitulation d’Alexandrie et de l’évacuation de l’Egypte qui fut connue presque en même temps[1]. Les étrangers, surpris, mais charmés, notent avec empressement ces symptômes d’impopularité du Consul. « Paris, écrit l’envoyé prussien, Lucchesini, n’a manifesté ni sensibilité, ni reconnaissance pour ce bienfait. » « La nouvelle de la paix, mande Markof, n’a pas influé favorablement sur les effets publics. » Et cependant, quel programme de gouvernement a jamais égalé, en promesses, offert en espérances, ce que déroula, en faits accomplis, le discours prononcé par Bonaparte, le 19 brumaire an IX — 10 novembre 1801, et le compte qu’il rendit à la nation, le 22 novembre, sous la forme d’un exposé de la situation de la République. « Français ! vous l’avez enfin tout entière, cette paix que vous avez méritée par de si

  1. Elle avait eu lieu le 27 juin 1801.