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—… n’en allaient pas plus mal, pensez-vous ? Ce serait à voir… En tout cas, si elles n’en allaient pas plus mal autrefois, c’est que le gros des équipages se composait d’hommes chez qui le sens de la discipline et de la hiérarchie n’était pas aboli, mais au contraire restait très vif et très juste. A ceux-là l’exemple des gradés, les recommandations courantes, quelques punitions, de-ci, de-là, suffisaient parfaitement. Plus tard, quand l’élément « ouvrier » pénétra chez nous avec un esprit tout différent, le mal resta longtemps tolérable, parce que, fortement encadré, perdu dans la masse, cet élément s’ajustait encore, avec une souplesse toute française, à la belle ordonnance du bord. Mais peu à peu la proportion des mécaniciens embarqués grandissait ; la lutte s’établissait donc, avec des chances de plus en plus égales, entre les tendances que ces mécaniciens apportaient de l’atelier, de l’usine, et celles que leurs camarades de la batterie ou du pont apportaient du foyer… C’est alors que nous aurions dû redresser des intelligences faussées, dissiper les préjugés, gagner les cœurs défians en les élevant à la conception de la discipline dans ce qu’elle a de plus noble : le libre consentement de la volonté à la règle, à l’ordre, à l’abnégation, pour le service du pays.

— Fort bien. Je ne dis pas non à tout cela. Mais, à supposer que la haute discipline morale pût s’apprendre, en effet, en cinq leçons, comment nos soins n’eussent-ils point été inutiles, alors que, par leur attitude, quelques-uns des officiers de ce corps en détruisaient d’avance les heureux résultats ?…

— Précisément, cette attitude aurait été bien différente si, — puisqu’ils étaient eux-mêmes passés par les rangs des ouvriers ou des sous-officiers mécaniciens, — ils eussent reçu en temps utile un enseignement d’une portée morale et militaire aussi élevée, dans sa simplicité, que celui que nous donnons en ce moment à nos apprentis-canonniers, fusiliers ou torpilleurs. Et, si l’on y avait ajouté le commentaire des règlemens fondamentaux de la Marine, on ne verrait pas dans le libelle de M. M… une preuve bien caractéristique de l’ignorance où restent ces officiers des conditions essentielles de l’utilisation de l’instrument de combat. Ils n’ont jamais compris ce que doit être, à bord d’un bâtiment, l’officier en second. Faute d’avoir lu et médité le décret sur le service à bord, ils n’ont jamais senti que cet officier en second était le second commandant, le commandant désigné d’avance, celui qui, dès lors, a le strict devoir de se tenir