12 janvier. — Coup de fouet général !… Qu’est-ce qu’il y a donc ? — à y a qu’on active les travaux et qu’il faut que nous soyons en rade le 1er février. Bigre ! C’est qu’on n’avait pensé y aller que le 15 et qu’il reste beaucoup à faire. On le fera. Demain, au lieu de 40 ouvriers, il en viendra 70 ou 80. Oui, mais il y a des travaux qu’on n’a point encore commencés, et alors c’est l’inconnu… Et puis, le bord est obligé de suivre l’arsenal ; et comment serons-nous « parés » nous-mêmes, si la mise en rade suit de trop près l’achèvement de ces travaux ?… Si, par exemple, on ne nous livre le cabestan à vapeur que le 31 janvier, nous n’aurons pas le temps de ravaler nos chaînes d’ancre, — des chaînes énormes, — que nous avions tirées de leur puits pour les visiter. Comment faire nos mouvemens d’embarcations sans treuil à vapeur, et, s’il fallait appareiller, comment éviter de gros ennuis tant que les organes de transmission du blockhaus et de la passerelle de navigation ne seront pas achevés ; non seulement achevés, mais parfaitement connus du personnel ? Et les escarbilleurs, qui ne doivent être fournis que le 30 et qu’il faudra remonter en toute hâte, et les alimentateurs, qui repartent pour l’atelier parce qu’on y a découvert une fâcheuse malfaçon… Et les tuyautages de vapeur, qui ne sont pas encore garnis, et le linoléum, qui n’est pas cloué, et l’enduit isolant du poste de l’équipage, qui tombe à peine posé… Bast ! Tout cela s’arrangera.
Et le charbon, et les vivres, et les tirs au polygone qui viennent brocher sur le tout avec leurs dates impitoyables, depuis que, hélas ! nos polygones, avec tant d’autres choses, sont passés à la Guerre ?… Allons ! ne gémissons pas… Cet écheveau inextricable, nous le débrouillerons tout de même.
15 janvier. — Ça fume ! ça fume !… Nous avons en effet 80, quelquefois 90 ouvriers qui font un vacarme d’enfer, si bien que le bateau est inhabitable. Les calfats, surtout, font merveille, accroupis sur leur boîte et enfonçant à coups de maillet le chanvre qu’ils arroseront de brai bouillant tout à l’heure. Comment ces hommes-là ne sont-ils pas sourds ?… Ils doivent l’être. Ce que j’admire chez eux, c’est leur parfaite sérénité, leur air abîmé en réflexion. On leur parle… rien ! — Ils tapent. On crie… pas davantage ! — Ils tapent toujours. On fait de grands gestes… tarare ! On les touche du doigt… Ah ! ils s’arrêtent, redressent lentement le buste. Ils vous regardent avec des yeux de rêve et répondent : « Qu’est-ce qui gn’a ? » d’une voix