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solutions particulières, car les solutions générales connues sont peu précises et point toujours efficaces.

22 janvier. — Depuis hier, à l’abri des murailles extérieures du port et du haut édifice de la direction d’artillerie, nous sentons passer les rafales du nord-est, sous un ciel gris de plomb, sous des nuages bas à la fuite éperdue. Le vent « a forcé » tout aujourd’hui et l’on dit qu’il fait très mauvais en rade : un « dundee » anglais est à la côte ; le Cassini ne peut plus communiquer avec la terre… Il tangue péniblement sur son corps mort, les feux allumés et prêt à tout événement.

Vers 5 heures, au moment de rentrer en ville, la tempête bat son plein. Les vétérans viennent doubler les amarres ; partout on prend des précautions… La nuit sera mauvaise. Risquons-nous cependant au dehors. Sur le quai même de l’Artillerie, un tourbillon me jette au bord… Sans un canon d’amarrage qui se trouve là, je tombais à l’eau. M’en voilà quitte pour cette fois, mais assez inquiet sur la suite… Si j’ôtais mon caban, où le vent s’engouffre ?… Oui, mais alors, c’est la fluxion de poitrine ; ce vent de nord-est est froid en diable. Danger pour danger, gardons le caban.

La première coupure, je la passe sans difficulté, trop vite même, étant vent arrière. Au coin de l’avant-port occupé par le Requin, dont les câbles grincent douloureusement, je tourne à gauche ; juste au moment où j’arrive devant la Majorité générale, un grand bruit et, patatras ! un déluge de briques, de plâtre, de tuyaux… C’est une des cheminées qui s’écroule… En même temps la porte s’ouvre avec fracas et une douzaine de marins, de gardiens, d’employés sortent en courant : la moitié de la haute cheminée est tombée en dedans, dans la cage du grand escalier… Il y a probablement des victimes… Non ! Tout bien examiné, point d’accident de personne. C’est miraculeux. Continuons…

Ah ! pour franchir la deuxième coupure, c’est une grosse affaire : on y est en travers au veut et il faut se cramponner au garde-fou, se haler à la force des poignets. Cela n’est rien encore : le plus difficile est de passer sans encombre devant le bâtiment des constructions navales, dont la façade fait obstacle aux rafales venues tout droit de l’entrée du port. Là, c’est une rage folle, hurlante, de tourbillons déchaînés qui vous enlèvent, vous couchent, vous renversent en un clin d’œil. Au moment où,