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mettre trop en frais d’outillage, créer un petit arsenal dans le grand, sentant bien que c’était l’écueil du « principe fécond de la division du travail. » Division du travail, soit ! Mais point partage des travaux, ce qui est beaucoup moins fécond…

Et voilà comment le groupe flotte, soutenu, comme par grâce, par des bonnes volontés un peu inconsistantes, mène une existence précaire, inquiète, à côté du puissant organisme qui représente à lui seul les cinq sixièmes de la force productive de l’arsenal. Il disparaîtra quelque jour prochain, avec la formule un peu artificielle de la « séparation de la flotte construite et de la flotte en construction ; » il disparaîtra, à la grande satisfaction de tous ceux qui ne veulent pas que l’officier de marine se préoccupe trop des engins qu’on lui prépare, qui ne veulent pas que Siegfried se mêle de forger son épée, ou seulement qu’il en aiguise la pointe quand elle est émoussée.

Tandis que j’allais de l’atelier du groupe flotte aux bureaux des constructions navales pour demander, de la part du commandant, quelle était la solution adoptée, j’ai rencontré S…, un jeune commissaire, tout en l’air, indigné et ravi en même temps. Il paraît qu’un nouvel arrêté l’oblige à descendre, — une fois de plus ! — dans la cale à vin pour je ne sais quelle vérification, quelle manipulation. Et, d’autre part, on songerait à lui donner des épaulettes en lui conférant, à bord, la dénomination officielle de « Monsieur le commissaire. » — Les épaulettes !… Monsieur le commissaire !… C’est bien séduisant, tout cela ; mais le nouveau service des vivres est bien fastidieux ! Ces messieurs disent qu’on les ravale au métier de maître commis. Ils n’ont peut-être pas tort. Seulement, quoi !… Il faut payer le reste. L’abaissement des fonctions et l’exaspération des amours-propres !… Ne seraient-ce point là deux des plus justes caractéristiques du temps présent ?…

26 janvier. — Le canot à vapeur nous a été rendu, complètement remis à neuf. L’officier en second m’autorise à m’en servir ce soir pour aller en ville, où j’ai affaire du côté du port de commerce. Enchanté d’ailleurs de quitter le bord au plus vite : le faux pont, la batterie, les superstructures, les passerelles, le mât militaire, tout est livré aux peintres. Et quels peintres !… Qu’il brandisse un pinceau ou qu’il soit armé du modeste « bouchon, » le mathurin est terrible : ce n’est pas assez de dire que son accès est dangereux, car on se garde de l’approcher ; il faut