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leurs splendeurs. » Cela n’est pas moins vrai du musicien que du poète. Il y a, même dans le Messie, une part faite à la magnificence extérieure et à la somptuosité décorative. C’est une espèce de prodigieux plafond musical, que le célèbre Alléluia. Tel autre chœur, moins fameux, serait digne de la même renommée, pour des raisons et des beautés de même nature : je veux parler de l’acclamation multipliée à l’infini, sur les paroles de l’Apocalypse : « A lui toute puissance, tout honneur, toute force, toute gloire et toute louange. » Il y a là comme une surabondance ou plutôt une surenchère prodigieuse de sons et de cris, un redoublement continu d’éloquence et d’enthousiasme. On comprend qu’en peignant à grands traits, et comme à coups de brosse, de pareilles apothéoses, Hændel ait cru voir le ciel ouvert et « le grand Dieu lui-même. » Il ne disait pas « le bon Dieu, » et il avait raison, sensible qu’il fut toujours à la grandeur plutôt qu’à la bonté.

C’est pour cela que, par le sentiment, sans parler ici de la forme, un chef-d’œuvre comme le Messie de Hændel n’a rien de commun avec un chef-d’œuvre tel que la Passion de Bach. L’un est hébraïque et l’autre chrétien. Dans le Messie, le Christ est annoncé, promis ; à peine est-il aimé. Il l’est pourtant quelquefois. La petite pastorale de Noël accueille tendrement l’enfant Jésus. La cantilène fameuse : Il garde ses ouailles, dessine en traits doux et purs la figure du Bon Pasteur. Enfin et surtout certain air de contralto : Il fut méprisé, honni, et l’admirable chœur qui suit, forment assurément l’un des Ecce homo les plus compatissans, les plus indignés de la musique entière. Mais, chez Hændel, et dans celui-là même de ses ouvrages qui pouvait être sinon le plus mystique, au moins le plus pieux, ce n’est là que l’éclair d’une cordialité sublime et rare. Le Messie, en somme, demeure un chef-d’œuvre de chaleur moins que de lumière, et de foi plus que de piété.

Mais la foi l’inspire et le soutient : une foi qui transporte vraiment des montagnes sonores, car la masse de cette musique n’a d’égale que sa mobilité. Et cette musique, — singulier contraste, — exprime souvent par des formes définies et plastiques la conception abstraite et pour ainsi dire l’idée pure, l’idée en soi de Dieu et du divin. Je sais des airs, même des phrases de Hændel, qui révèlent à notre esprit le Dieu métaphysique, mais ne font pas le Dieu personnel sensible à notre âme ou à notre