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plus simples suffisent, et même sont rarement réclamées. Où l’on néglige les mœurs, les lois pussent-elles tout prévoir et se multiplier en autant de ramifications qu’en produit l’inépuisable corruption humaine, elles sont sans force et sans application : Corruptissima Respublica, plurimæ leges. » Il se propose, alors de définir les mœurs, qu’il fait essentiellement consister en trois points, lesquels sont le respect de la religion, l’ardeur du patriotisme, et l’observation des « vertus civiles. » Ce sont aussi trois points dont on n’eût pas fait aisément convenir Voltaire ou Diderot. L’idée religieuse elle-même n’a pas été plus étrangère à Voltaire, on le sait, que l’idée de patrie ; et, pour Diderot, on peut dire qu’elles le faisaient tomber l’une et l’autre en épilepsie. Mais le marquis de Mirabeau n’avait heureusement cure de l’opinion de Voltaire ou de Diderot, et, s’exaltant par la contradiction même, il écrivait encore : « Supposé que la religion soit une invention humaine tissue d’erreurs et de prestiges dans le droit, mais établie sur la plus antique convention dans le fait, je demande si parmi ces petits éclairs d’anti-prophètes, il en est un qui veuille soutenir de sang-froid que la société en serait plus heureuse, si l’on ôtait ce frein à l’humanité. S’il s’en rencontre un assez fou pour cela, vous le feriez convenir également que la patrie est une idée, que ubi bene ibi patria ; que le respect dû aux souverains n’est que la loi du plus fort civilisée ; que nos mères nous firent sans penser à nous ; que notre postérité est un mot ; que l’amitié n’est autre chose qu’une main qui frotte l’autre ; que la probité n’est que l’art de mettre de son côté les circonstances ; la pudeur qu’une attention aux bienséances ; la foi un lien pour les fous et un moyen pour les honnêtes gens ; qu’en un mot chacun n’est ici-bas que pour soi. » C’est la revendication des droits de la morale qui se fait entendre dans cette page assez éloquente, et d’une morale fondée sur un autre principe que celui de « l’utilité sociale. » L’Ami des hommes a très bien vu que, si l’utilité sociale pouvait à la rigueur être considérée comme étant à soi-même sa fin, elle ne pouvait être cependant ni son principe, ni même la sanction de ses commandemens. Il n’a pas moins bien vu que, si les lois ne sont assurément pas sans quelque action sur les mœurs, ce sont les mœurs qui cependant sont « mères, tutrices et protectrices des lois. » Et sans doute il a eu tort d’en conclure, à notre avis du moins, que « la superintendance des mœurs était donc le plus bel apanage, et le droit le plus sacré du