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régulière cette société d’émigrés à demi sauvages, et créa le Duché de Bretagne en réunissant au pays qui parlait breton la marche de Bretagne établie par les carlovingiens pour contenir les pillards de l’Ouest, il sentit le besoin d’étendre à son duché l’organisation religieuse du reste du monde. Il voulut que la côte du Nord eût des évêques, comme les pays de Rennes, de Nantes et de Vannes. Pour cela, il érigea en évêchés les grands monastères de Saint-Pol-de-Léon, de Tréguier, de Saint-Brieuc, de Saint-Malo, de Dol. Il eût bien voulu aussi avoir un archevêque et former ainsi une province ecclésiastique à part. On employa toutes les pieuses fraudes pour prouver que saint Samson avait été métropolitain ; mais les cadres de l’Eglise universelle étaient déjà trop arrêtés pour qu’une telle intrusion pût réussir, et les nouveaux évêques furent obligés de s’agréger à la province gallo-romaine la plus voisine : celle de Tours[1]. »

Je me plais à citer M. Ernest Renan, parce que son témoignage eu pareille matière faisait autorité aux yeux mêmes de M. de la Borderie. Je dois dire aussi que l’illustre écrivain avait songé un moment à écrire l’histoire des commencemens de la Bretagne, mais il en avait été distrait par toutes sortes de travaux, et un jour que Jules Simon le pressait de donner suite à cette idée déjà ancienne, il lui répondit en souriant : « Il est trop tard, la place est prise ! »

Elle était prise, en effet, mais s’il l’avait bien voulu, M. Ernest Renan eût trouvé beaucoup à glaner derrière M. de la Borderie. Sans compter que pour parler des choses ecclésiastiques il avait une compétence, voire une onction, qui manquait à l’autre. Avec quel charme il nous eût dit l’histoire de ces saints « à demi sauvages, » de ces espèces de géans qui lui apparaissaient comme « des solitaires maîtres de la nature, la dominant par l’ascétisme et la force de la volonté ! » On peut s’en faire une idée en lisant les quelques lignes qu’il a consacrées à ce Winoch, « qui passa par Tours en allant à Jérusalem, portant pour tout vêtement des peaux de brebis dépouillées de leur laine. Il parut si pieux, qu’on le garda et qu’on le fil prêtre. Il ne mangeait que des herbes sauvages et portait le vase de vin à sa bouche de telle façon qu’on aurait dit que c’était seulement pour l’effleurer. Mais la libéralité des dévots lui ayant souvent apporté des vases

  1. Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 3.