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Sous la maison de Montfort, l’anarchie lut encore plus grande. Jean IV fut un véritable anglomane. « A la veille même de la ratification par Charles V du traité de Guérande, en janvier 1366, il eut le front d’accepter de la main d’Edouard III, sous forme d’instruction diplomatique, un plan de conduite et de gouvernement absolument opposé à l’intérêt de la France : la garde du château de Brest, de Saint-Mathieu, de toutes les villes et châteaux avoisinant les côtes, devrait être confiée à « suffisans et loialx Engloys, » à l’exclusion des Bretons ; le duc devait s’entourer d’Anglais et se gouverner par leurs conseils ; il était même invité à aller chasser en Angleterre, en laissant en Bretagne « deux ou trois Engloys bons et loialx comme gouverneurs et gardiens pour le temps de sa absence. » Toute la maison du duc était anglaise ; il avait donné à Robert Knolls les seigneuries de Bougé et de Derval, à Walter Huet la baronnie de Retz, à d’autres Anglais, d’autres domaines, tandis qu’il récompensait très mal ses plus fidèles partisans bretons ; ainsi, par exemple, il investit Chandos du château et de la forêt du Gâvre, malgré les instances de Clisson, qui les demandait pour arrondir sa seigneurie, voisine de Blain. Tant il y a qu’en apprenant cette donation, Clisson s’écria : « Je me donne au diable si jà Anglais sera mon voisin ! » et il alla démolir le château du Gâvre et en emporta les matériaux que lui servirent à édifier son donjon de Blain. Le duc, pour s’en venger, lui enleva la seigneurie de Châteauceaux, mais il s’attira cette fière réponse du connétable : « Haha, monseigneur, vous m’avez fait Olivier sans terre, mais vous ne serez pas duc sans guerre ! »

Et, en effet, à partir de ce jour-là, Jean IV trouva partout Clisson devant lui, et c’est Clisson qui fut le plus fort et qui, malgré le guet-apens du carrefour de la rue Sainte-Catherine, porta aux Anglais les plus rudes coups, de même que c’est Richemont, un autre connétable, qui les chassa de la Bretagne et de la France. Or, comme ces deux Bretons étaient alors au service du roi de France, il n’est pas étonnant que leur épée et la reconnaissance nationale lui aient ouvert tout grand le duché, et qu’un jour, après les dernières convulsions de la Ligue du bien public, la fille de François II, pour le sauver de ses vassaux, ses mortels ennemis, ait mis sa main franche et loyale dans celle de Charles VIII. Ce jour-là toute la Bretagne acclama sa petite reine, car, dit M. de la Borderie, si le vieux duché perdit son