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indépendance politique, du même coup il fut affranchi du joug de ceux qui l’avaient vendu. La Bretagne allait être enfin rendue aux Bretons par une enfant de douze ans, qui, n’ayant ni parens, ni tuteur, ni armée, ni trône, trouva dans son cœur et son patriotisme la solution logique et dernière d’une lutte sans espoir et sans fin. Et voilà comment la Bretagne était destinée par la force des choses à devenir une province française.

Mais, si elle se donna tout entière sans arrière-pensée et sans regrets, ce fut à la condition que ses libertés, ses droits et privilèges lui seraient garantis par un pacte solennel. Et si, dans le cours des siècles, elle s’insurgea plus d’une fois contre le pouvoir central, si, à la veille de la Révolution française, elle prit résolument parti pour La Chalotais contre le duc d’Aiguillon, il est bon que l’on sache que son loyalisme ne fut jamais en cause, mais que ce fut uniquement pour défendre ses libertés méconnues et ses droits violés.

Et ici j’éprouve le besoin de reproduire, en manière de conclusion, le très beau mouvement d’éloquence qui servit de péroraison à la dernière conférence de M. de la Borderie :

« Avant de quitter cette histoire, disait-il, exprimons, s’il est possible, en quelques traits, le génie de la Bretagne, tel qu’il se dégage de la masse des faits, des événemens qui forment sa vie, son existence nationale.

Le premier trait de ce génie, c’est un patriotisme indomptable, un attachement passionné, non seulement au sol natal, mais aussi aux mœurs, aux lois, aux croyances, aux traditions, à la langue, à tout ce qui constitue la personnalité morale d’une race et sa nationalité. Pour défendre cette nationalité et le dernier lambeau de terre qui en est le dernier asile, — une ténacité, une opiniâtreté invincible, qui use les victoires des vainqueurs, les conquêtes des conquérans, qui fait des Bretons le type des races résistantes, peuples durs, fiers, sans ambition, défenseurs intrépides du droit inhérent à toute nation de vivre, et de vivre indépendante, en développant librement son existence selon ses instincts et ses aptitudes providentielles.

Voilà les Bretons dans leurs rapports avec les autres peuples. Mais chez eux, dans leur vie nationale intérieure, comment se caractérise leur génie politique ?

Par deux traits d’abord, qui sortent l’un et l’autre naturellement de cette force de résistance, de celle ardeur de