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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/737

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pas du Parlement la ratification du traité, s’ils n’obligent pas les Français à abandonner quelques-uns des articles essentiels des préliminaires, et ils croient pouvoir les y contraindre par le péril où une brusque reprise de la guerre placerait, sans secours possible, la flotte française en route pour les Antilles.

Bonaparte voit le péril ; mais il préfère la guerre immédiate à une transaction chimérique qui remettra aussitôt tout le traité en question ; car, à la moindre coupure sur les bords, la trame se déchire, et les Anglais tireront toujours plus fort, jusqu’à rompre l’étoffe[1]. Il mande à Joseph de rédiger un projet ne varietur et de s’y tenir aussi près que possible des préliminaires. Il écrit ou dicte des notes sur Malte, sur la Porte, sur les Barbaresques, pour servir d’instructions dernières à Joseph et à Otto[2]. Dans l’une, il pose le principe, qui est, qui sera un des principes directeurs de sa politique, et qu’il tient de Colbert et du Comité de Salut public : « La Méditerranée est à la France et à l’Espagne par leur position topographique. » Mais il se montre accommodant pour les arrangemens de Malte ; il cherche un mezzo termine pour la remise de l’île à l’Ordre, sous la protection du roi de Naples. « L’Angleterre pourrait garder cette île encore six mois après la signature du traité ; bien entendu que, de notre côté, nous garderons Tarente. » Il ne parle plus des comptoirs des Indes, du Gange ni de Terre-Neuve. Quant aux États nouveaux de l’Italie, la République italienne, la Ligurie, l’Etrurie, il n’insiste plus ; mais il avertit : l’Angleterre peut les exclure du traité, soit, ils seront exclus de la paix[3].


Si l’Angleterre refuse de reconnaître trois puissances qui tiennent une place aussi distinguée, elle renonce donc à prendre aucun intérêt aux peuples qui composent ces trois États. Cependant, comment admettre que le commerce anglais soit indifférent au commerce de Gênes, de Livourne, des bouches du Pô et de la République italienne ? Et si son commerce souffre des entraves dans ces trois États, à qui S. M. Britannique aura-t-elle à s’en prendre ?

Et si ces trois puissances, frappées de voir qu’elles ne sont pas reconnues par les grandes puissances, font des changemens dans leur organisation et

  1. Journal de Malmesbury. Notes du 2 mai 1802, sur les propos tenus par Jackson, qui était à Paris au temps des négociations. — Boulay de la Meurthe, t. V, p. 220, note.
  2. Talleyrand à Joseph ; notes de Bonaparte pour Otto ; Bonaparte à Talleyrand, 19 février 1802.
  3. Projet de note pour Joseph, à insérer au protocole, 19 février 1802. Elle est au protocole du 21, en substance.