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1420 à 1424, la Seigneurie confiait le soin de décorer la grande salle du Palais ducal. Ils y faisaient paraître, l’un son goût des brillantes colorations, des belles armures, de l’or, et des pierreries semés à profusion ; l’autre, son amour de la nature et de la vie manifestée sous toutes ses formes. Frappés eux-mêmes par les spectacles qu’ils avaient eus sous les yeux, il semble que tous deux aient emporté de leur séjour à Venise le souvenir radieux des magnifiques aspects de la ville des lagunes et donné depuis à leurs œuvres un éclat toujours croissant.

Sous cette double influence, les peintres locaux, qui jusque-là avaient docilement suivi les traditions des mosaïstes, commencent à s’aviser que leur art, avec ses moyens d’exécution, avait aussi son domaine propre. A côté de leurs Madones pensives et naïvement maniérées et des Saints disposés symétriquement autour de leurs trônes, Carlo Crivelli et, à sa suite, la dynastie des Vivarini prodiguent à l’envi, comme un hommage rendu à la Vierge et au Divin Enfant par la nature entière, non seulement les marbres précieux, les gemmes, les étoffes aux vives couleurs et aux riches broderies, les ornemens dorés aux gaufrures saillantes ; mais ces feuillages de chêne, de laurier et d’oranger, entremêlés de fleurs et de beaux fruits dont ils tressent au-dessus d’elles les épaisses guirlandes. Déjà même des paysages à la fois rudimentaires et compliqués se découvrent à travers les portiques chargés de sculptures ; des oiseaux s’ébattent dans l’azur profond et quelques arbres grêles, sommairement indiqués, se détachent durement avec leurs tiges rigides sur les lointains bleuâtres.

Mais bientôt, en même temps qu’un commerce plus fréquent avec les artistes du Nord rend les Vénitiens plus attentifs aux beautés de la nature, le procédé nouveau de la peinture à l’huile, divulgué chez eux par Antonello de Messine (1473), leur fournit, comme à point nommé, des ressources techniques qui leur permettront de les exprimer avec plus d’éclat. Enfin, grâce aux Bellini, l’école, jusque-là hésitante, va trouver sa véritable voie et sa complète émancipation. Originaire de Venise, Jacopo, le chef de la famille, a suivi à Florence Gentile da Fabriano dont il a reçu les leçons ; à Padoue où il demeure quelque temps, il se lie avec Donatello et il a pour gendre Mantegna. Ces voyages, ces relations avec les maîtres les plus en vue lui font connaître l’art de son temps, et si les rares peintures de lui qui nous ont