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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/821

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de l’épisode auquel il l’adaptait, que Bellini a donnée pour fond à l’un de ses derniers ouvrages, la grande Bacchanale, signée et datée de 1514[1], dans laquelle il a très irrévérencieusement représenté les dieux de l’Olympe au cours d’une de leurs escapades terrestres, se délassant de leur grandeur dans un banquet servi sur la lisière d’une forêt. On le voit, c’est vers la fin de sa vie que l’artiste était graduellement arrivé à faire dans ses compositions une place toujours plus importante au paysage et à goûter de plus en plus le charme des sincères consultations qu’il demandait à la nature elle-même, substituant ainsi les enseignemens féconds de la réalité à toutes les pauvretés des formules traditionnelles encore usitées dans les autres écoles. Telle sera la grande originalité des maîtres vénitiens, bien conforme d’ailleurs au tempérament et aux qualités de cette race courageuse et avisée qui dans sa politique, pas plus que dans sa peinture, ne se paie de chimères et, sans perdre jamais pied, conserve dans ses visées les plus hautes cet esprit positif et pratique dont témoignent les heureuses initiatives de son commerce et de ses industries. Céramique, verrerie, dentelles, tissus de velours et de soie, orfèvrerie, imprimerie, cartographie et gravure, on sait, en effet, que dans les directions les plus diverses Venise avait conquis une supériorité qui lui assurait une physionomie à part et qui devait maintenir sa prospérité longtemps après l’amoindrissement des autres cités italiennes.

L’influence des Bellini se faisait sentir d’une manière profonde et vivace sur leurs nombreux élèves, sur Vittore Carpaccio notamment, qui, originaire de la Dalmatie, avait, en 1749, accompagné à Constantinople Gentile, l’aîné des deux frères. Stimulé par la vue de l’Orient, il rapportait ensuite à Venise le goût des colorations éclatantes que manifestent ses tableaux et que justifiait d’ailleurs pleinement le choix même des sujets qu’il a traités. Dans la suite des Prédications de saint Etienne, aujourd’hui dispersée à travers l’Europe (musées du Louvre, de Berlin, de

  1. Ce tableau qui faisait autrefois partie de la collection Camuccini, se trouve aujourd’hui à Alwick-Castle chez le duc de Northumberland. Peut-être Titien y a-t-il donné quelques retouches sur la prière du duc Alphonse de Ferrare, qui l’avait commandé à Bellini. Mais ainsi que le prouvent la signature et la date inscrites par ce dernier, il avait été terminé par lui deux ans avant sa mort, et l’on s’accorde à considérer comme mensongère l’indication latine portée sur ce tableau et d’après laquelle celui-ci, laissé inachevé par Bellini, aurait été pieusement terminé par Titien son illustre élève.