draperie qui s’envole au souffle de la brise. L’exécution, à la fois forte et délicate, partout vivante et facile, ajoute à la beauté de ce chef-d’œuvre je ne sais quel air de spontanéité. Elle montre l’heureux équilibre et l’universalité d’un maître qui, doué des dons les plus rares, a su, jusqu’à la fin de sa longue carrière, les étendre par un travail sans relâche.
C’est à son travail, en effet, que Titien, en dépit de sa célébrité croissante, a toujours réservé le meilleur de son temps. A la mort de sa femme, il avait plus que jamais senti le besoin de s’absorber dans son art. Sa sœur Orsola était alors venue se charger du soin de son ménage et de l’éducation de ses trois enfans, deux fils qui lui donnèrent assez de souci et Lavinia, sa fille tendrement chérie. Pour mieux se défendre contre les importuns, Titien quittait la maison qu’il avait occupée jusque-là à San-Samuele, près du grand canal, au cœur même de Venise, et il allait s’établir à l’extrémité septentrionale de la ville, à Biri Grande sur la paroisse San-Canciano, dans une demeure spacieuse qu’il avait louée et appropriée à sa guise. La vue embrassait de là une vaste étendue de ciel et de mer, et par un temps clair, elle s’étendait à l’horizon jusqu’aux cimes lointaines des Alpes de Cadore, son pays natal. Pour satisfaire son amour de la nature, il avait joint à cette location celle d’un jardin assez grand qu’il remplissait des plantes et des fleurs les plus variées et qui fut bientôt cité comme une des merveilles de Venise. La tradition rapporte même que les grands arbres du Martyre de saint Pierre auraient été peints des fenêtres de son atelier d’après les modèles qu’il avait sous les yeux.
C’est là que s’écoulait sa vie paisible, remplie par une production incessante. On se disputait ses œuvres ; ses compatriotes en ornaient à l’envi les églises et les palais de Venise et les amateurs ou les princes de l’Europe entière les recherchaient. Après Charles-Quint qui l’avait anobli, il était honoré de la faveur de Philippe II ; les ducs d’Este, de Ferrare, de Mantoue et le pape Paul III lui-même, essayaient de le retenir à leur Cour. A toutes les séductions de la grandeur il préférait son indépendance, son foyer, son travail et le commerce d’un petit nombre de lettrés ou d’artistes qui étaient ses amis. Comme Giorgione, comme beaucoup de grands peintres, nous savons qu’il goûtait fort la musique. Peut-être est-ce par un simple caprice que Paul Véronèse l’a représenté jouant lui-même du violoncelle au premier