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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/843

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plan des Noces de Cana ; mais une lettre de l’Arétin nous apprend, du moins, qu’il avait été heureux d’acquérir un orgue d’Alessandro, en échange d’un portrait fait par lui de ce célèbre facteur.

On formerait une galerie complète des plus hautes illustrations de son temps avec les portraits peints par Titien. Dans la plupart d’entre eux, la nature tient une large place, notamment dans les grands portraits d’apparat comme celui du marquis d’Avalos (musée de Cassel) et dans celui de Charles-Quint à cheval à la bataille de Mülberg (musée du Prado), aussi bien que dans ces portraits de doges derrière lesquels se déploient les perspectives magnifiques des palais vénitiens ou la mer couverte des flottes victorieuses de la République. De même, les créatures effrontées, courtisanes ou favorites des princes, qui, dans maint Musée, sous l’appellation complaisante de Vénus, étaient impudemment aux yeux de tous leur nudité superbe, ont trouvé dans les beaux arbres, près desquels Titien nous les montre étendues, l’accompagnement le plus propre à faire valoir l’éclat de leurs carnations nacrées. Enfin, novateur inconscient, c’est encore Titien qui, pour la première fois, dans le Concile de Trente (musée du Louvre) a représenté, avec sa vraie lumière, amortie et diffuse, un de ces intérieurs d’église dont la peinture va constituer après lui un genre à part chez les Flamands et les Hollandais. Mais là aussi par la largeur et la tranquille audace du parti, il arrive à nous intéresser à ces longues files d’évêques régulièrement assis en lignes parallèles, avec leurs mitres pareilles, et il y parvient, grâce à la justesse impeccable avec laquelle il a su établir et varier ici les dégradations presque insensibles du clair-obscur.

Dans tous les genres, on le voit, et il les a tous abordés avec une égale maîtrise, Titien assigne à la nature un rôle capital. Elle apparaît chez lui, non plus seulement comme un décor, mais le premier il en a compris l’importance expressive et révélé le charme. On trouve même mentionnés dans les inventaires ou les catalogues anciens, des paysages purs, aujourd’hui perdus, qu’aurait exécutés l’artiste. Lui-même d’ailleurs dans une lettre datée de 1552 annonce à Philippe II l’envoi d’une de ces peintures. En tout cas, par l’amour qu’il a porté à la nature, aussi bien que par le talent avec lequel il l’a interprétée, Titien mérite d’être considéré comme le véritable créateur, et ainsi que l’ont