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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/876

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repaissait de plusieurs centaines de victimes à la fois ? Qui donc ne se rappelle Jabin, Châtelus, Villebœuf, la Manufacture, pour ne parler que de celles-là ? Qui donc ne se rappelle les noyades du département du Gard, et plus récemment encore celle de Roche-la-Molière ? Et chaque jour n’entraîne-t-il pas avec lui quelque nouvelle victime, et n’avons-nous pas journellement à déplorer la perte d’un des nôtres et souvent même de plusieurs à la fois ? Nombreux sont les orphelins et les veuves qui, chaque jour, voient leur foyer vide et seront demain sans pain parce que l’ogresse a laissé retomber sa griffe sur celui qui était chargé de pourvoir à leur nécessaire. »

Cela pour le danger, ceci pour la peine : « Quant à l’état hygiénique des houillères, contrairement à ce que dit le rapport du Comité, c’est souvent couché sur le flanc que l’ouvrier mineur accomplit sa tâche, et il ne peut en être autrement dans les couches de 0m, 50, 0m, 60, 0m, 70 jusqu’à 1m, 40, en exploitation dans la Loire principalement. C’est là que, couché sur un côté, trempé de sueur, sur le mur humide souvent, mouillé quelquefois, le mineur arrache la houille, dans des tranchées de 12 à 20 mètres de hauteur, dans la poussière du charbon, la fumée de la poudre, sans air souvent, quelquefois dans la chaleur : voilà la position du mineur des petites couches. A genoux, ou s’étirant, s’échafaudant quelquefois dans les grandes couches, jamais dans une position naturelle, toujours dans une position pénible, voilà la situation du mineur des grandes couches. Oui, il y a bien les galeries principales, où se meuvent les chevaux, qui sont suffisamment hautes et aérées, mais, à part les toucheurs et les réparationnaires, le mineur n’y fait que passer. »

De ces deux thèses qui se heurtent et se choquent, quelle est la mieux fondée ? Où est la vérité ? Si, fermant les yeux, je me recueille et cherche à rappeler mes impressions personnelles, loin de toute suggestion étrangère, je ne mets nulle vanité à le déclarer, tant la conclusion est banale, mais je pense que la vérité, ainsi qu’en bien des choses, ainsi qu’en presque toutes les choses humaines, est au milieu, entre les deux. Je revois en effet les puits admirablement outillés, les hautes et larges galeries ; je sens passer jusqu’au fond des chantiers le souffle puissant des compresseurs ; et j’ai à de certains tournans envie de doubler le pas, parce que le courant d’air est trop vif… J’ai à la main une lampe perfectionnée qui réduit à son minimum le risque d’un