courage elle a, dans une admirable lettre adressée au procureur du Saint-Synode, protesté contre la sentence d’excommunication. Tolstoï lui-même n’eût rien écrit de plus beau que cette phrase : « Y eût-il erreur, les vrais renégats ne sont pas ceux qui s’égarent à la recherche de la vérité, mais ceux qui, placés à la tête de l’Église, agissent comme des bourreaux spirituels. » À mes félicitations, elle répond avec beaucoup de simplicité : — Je n’aurais pu dire autrement.
Toutefois elle reste attachée à l’Église orthodoxe, elle veut que les actes les plus solennels de la vie, la naissance, le mariage et la mort, aient une consécration. Tout en reconnaissant que la loi de charité est la plus haute de toutes, elle garde le respect des formes extérieures du culte, à ce point que, secrétaire de son mari, elle refusa de copier dans le manuscrit de Résurrection un passage sur la messe qu’elle désapprouvait.
— Il est bon, nous dit-elle en racontant ce fait, que les hommes de génie aient auprès d’eux des gens de bon sens qui les contrarient quelquefois.
Elle parle ainsi devant Tolstoï, et Tolstoï ne répond rien. Évidemment, il a l’habitude de ces critiques en famille et il sait les endurer, si vive que soit la sensibilité que trahit parfois son expressive physionomie. Du reste, un peu partout on le redresse et on le corrige. Lorsque je lui demande si la belle traduction de Résurrection par M. de Wyzewa et celle des Souvenirs de jeunesse par Arvède Barine ne l’ont pas consolé d’avoir été souvent trop mal traduit, il convient que c’est une assez cruelle épreuve, en effet, pour l’amour-propre d’un auteur, qu’une mauvaise traduction, mais il redoute davantage d’être mutilé par ses traducteurs, chaque pays pratiquant des amputations sur le point qui choque ses croyances et ses préjugés. Tout cela, du reste, est peu de chose.
L’orgueil dont quelques-uns l’accusent doit être, s’il existe, tout à fait inconscient. Je n’ai constaté chez lui, pour ma part, que le détachement le plus parfait. Jamais il ne lit les articles qui paraissent sur ses livres, craignant d’y trouver un plaisir de vanité. Comme je fais observer qu’il doit se sentir depuis longtemps supérieur à la louange autant qu’au blâme : — Oh ! non, dit-il avec une sorte de confusion touchante, on ne sait jamais…
À ceux qui insinuent que sa vie et son enseignement ne sont pas toujours d’accord, il répond invariablement :