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suffrages, tandis que les 231 députés modérés en avaient 2 118 700.

Nul doute que les sessions suivantes ne nous ménagent fréquemment des surprises analogues. C’est en effet le caractère très particulier des récentes élections (nous aurons bientôt à y revenir) d’avoir donné en général de grosses majorités aux députés modérés, tandis que leurs collègues radicaux n’ont le plus souvent obtenu que le nombre de voix strictement nécessaire. Un député modéré représente en moyenne 4 à 500 voix de plus qu’un député radical (9 250 au lieu de 8 760). Aussi les majorités parlementaires de 50 à 60 voix, qui, déduction faite des absences et des abstentions, paraissent être assurées normalement au parti radical, ne représentent guère qu’un écart de 100 000 suffrages, 150 000 au plus, au lieu de 5 à 600 000, ainsi que le voudrait la logique des choses. Il en résulte que tout vote de la Chambre rendu à moins de 50 voix de majorité est infiniment suspect, et qu’en somme le hasard règne en maître au Palais-Bourbon.

De cette discussion purement arithmétique nous pouvons donc tirer cette triple conclusion :

1° La Chambre ne représente pas le pays ;
2° Elle ne représente pas les votans ;
3° Elle ne représente pas toujours ses mandataires directs.


II

Cette situation au moins étrange est entièrement le fait de notre loi électorale, l’instrument le plus défectueux et le plus barbare qu’on ait mis entre les mains d’un peuple.

Un gouvernement représentatif est par définition le gouvernement de la nation par la nation. Le Parlement est l’organe de sa volonté : il doit être, par conséquent, sa représentation exacte ; il doit tendre à reproduire l’image réduite, mais fidèle de la nation tout entière.

Or, par définition également, tout système électoral majoritaire ne peut représenter que la majorité de la nation, et non pas sa totalité. Il est donc, dans son principe même vicieux et illogique.

A le pratiquer en France, ses inconvéniens prennent des proportions inattendues du fait des abstentions et des divisions profondes qui agitent notre pays. C’est ainsi que, dès le premier jour, il a fallu renoncer à exiger pour les députés la véritable majorité de leur circonscription, c’est-à-dire au moins la moitié plus un