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des électeurs inscrits. On a dû se contenter de la majorité des votans, et la précaution n’était pas vaine, car, si l’on s’était tenu à la rigueur des principes, il serait devenu impossible de constituer un Parlement. Aux dernières élections, 148 députés seulement sur 575 ont réuni la moitié plus un de leurs électeurs. Ainsi l’expression « système majoritaire » n’a chez nous qu’une valeur conventionnelle, puisque les trois quarts de nos députés sont élus par une minorité.

Ce n’est pas tout.

Le système majoritaire est faux et imperfectible par sa nature même, mais on peut encore aggraver ses résultats par des procédés spéciaux. Nos législateurs n’y ont pas manqué.

Ils ont divisé le pays en 575 circonscriptions, d’importance fort inégale, variant entre 3 400 électeurs (Barcelonnette) et 32 000 (Sarlat), et ont donné à chacune d’elles le droit d’élire un député. Le résultat est que tantôt il suffira à un candidat de réunir quelques centaines de voix pour être élu, tantôt il devra grouper 15 000 électeurs et plus. Le pouvoir représentatif des députés varie dans la proportion de 1 à 10, alors que leur pouvoir législatif est égal pour tous. Compléter un système électoral déjà vicieux en lui-même par des dispositions aussi extraordinaires, c’était préparer le règne de l’incohérence et de l’arbitraire. Ici quelques exemples sont indispensables, et, bien que nous n’ayons nullement le goût de faire des personnalités, nous serons obligés de citer certains noms propres.

Reprenons la liste établie précédemment. M. Bersez, député de Cambrai, figurera en tête avec ses 20 900 électeurs. Le dernier sera M. Delombre, député de Barcelonnette, qui n’en a que 2 000. Croit-on que la situation de l’honorable M. Bersez soit enviable ? Assurément non. Il traîne derrière lui une véritable armée plus de dix fois supérieure à celle de son collègue des Basses-Alpes ; il a dix fois plus de charges, dix fois plus d’intérêts à défendre, mais il a tout juste autant de droits. Sept députés suivis de leur clientèle ne suffisent pas à faire équilibre aux masses dont il dispose, car MM. Delombre, Boni de Caslellane, Hubbard, Laurençon, Pavie, Jourdan et Bizot ne peuvent opposer que 20 200 fidèles à ses 20 900 électeurs ; mais, à la Chambre, ces sept députés comptent pour sept et lui-même compte pour un. Que voulez-vous qu’il fasse contre sept ?

Son cas, d’ailleurs, n’est pas exceptionnel. Chaque député