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À l’heure où Monna Vanna rentre dans Pise, suivie de Prinzivalle, tout le peuple enthousiaste se presse sur ses pas. Il lui reste un devoir, c’est de porter témoignage en faveur de celui à qui on l’a livrée, et qui n’a exigé d’elle qu’un baiser sur le front Mais vainement essaie-t-elle de convaincre Guido : il refuse de la croire, et ne veut entendre qu’à la vengeance. Pour sauver Prinzivalle, la jeune femme n’a qu’une ressource, c’est de demander qu’on lui abandonne le prisonnier dont elle se fera la gardienne.

Il y a dans cette pièce beaucoup de lyrisme mêlé aux élémens proprement dramatiques : un personnage tout au moins y est étrangement conventionnel, celui de Prinzivalle, le bandit chevaleresque, le condottiere courtois. Mais d’ailleurs que de traits de véritable huma-manitél Quelle image de l’égoïsme nous offre cette ville, acceptant, au prix d’une condition honteuse, de retarder de quelques heures la ruine inévitable, et changeant en hymne d’adoration la reconnaissance de tous ces ventres satisfaits ! Guido est un homme pareil à beaucoup d’autres, prêt à envoyer au sacrifice n’importe quelle femme, pourvu que ce ne soit pas la sienne, et incapable de voir dans l’allégresse d’un peuple autre chose que le deuil de son honneur et les réclamations de sa vengeance. Marco, le beau-père, est l’homme sorti de l’âge des passions et qui envisage les choses du haut d’une expérience attristée. « Maintenant que la ville est sauvée, nous-mêmes regrettons presque ce salut qui vous coûta si cher ; et nous baissons la tête en présence de celui qui porte seul injustement toute la peine. Et cependant si hier pouvait recommencer, il me faudrait encore agir comme j’ai agi, désigner les mêmes victimes et pousser à la même injustice ; car l’homme qui voudrait être juste passe sa vie à choisir tristement entre deux ou trois injustices inégales. » Monna Vanna est l’héroïne de la pièce ; c’est aussi bien son caractère qui est le mieux tracé, et nous suivons, par une série de fines gradations, le renouvellement qui se fait dans son cœur. La surprise, le rappel d’une sympathie ancienne, l’orgueil du triomphe à voir devant ses pieds le vainqueur tout puissant, la joie d’être devenue pour sa patrie une libératrice, le dépit que Guido lui inspire en refusant de croire à sa parole, l’estime que mérite Prinzivalle, et surtout la mystérieuse affinité qui lui fait découvrir chez celui-ci une conception de l’amour unique toute pareille à la sienne, ce sont chez Vanna autant de degrés de la passion grandissante et qui la mènent à appartenir corps et âme à celui qu’hier elle haïssait. Toutes ces nuances sont observées et rendues avec un art aussi pénétrant que délicat. Mais aussi c’est une