psychologie qui doit moins à Ruysbrœck l’Admirable et à Novalis qu’à La Rochefoucauld et à Racine.
Au surplus, si le terme d’arrivée est ici fort éloigné du point de départ, faut-il conclure qu’il y ait entre les deux manières de M. Maeterlinck une opposition aussi complète et une contradiction aussi inconciliable que nous nous sommes plu à le marquer pour les besoins de l’analyse ? Nous sommes prêt à convenir que ce serait forcer la note, et nous verrions plutôt dans cette différence d’attitude le progrès d’une pensée qui, d’abord étonnée et déconcertée, est peu à peu redevenue maîtresse d’elle-même. En se rapprochant des conditions de la psychologie individuelle, et en recommençant de peindre la vie sous les couleurs où elle nous apparaît, M. Maeterlinck n’a sans doute cessé de croire ni à la réalité de ce qu’il appelle la vie profonde, ni à la dureté de la condition humaine. Il en a le droit, et c’est le cas de tenir fermement les deux bouts de la chaîne. Certes, il est vrai que le domaine de la conscience claire n’est qu’un îlot sur l’océan de l’inconscient ; mais plus étroit est ce domaine, et plus nous sommes obligés de n’en laisser inexplorée aucune partie : chaque découverte que nous y faisons est une victoire remportée sur l’instinct, sur toutes ces puissances obscures que nous sentons s’agiter au fond de nous-mêmes et dont nous sommes trop souvent les prisonniers ou les dupes. Et il est vrai que, si nous fixons nos regards sur les problèmes de la destinée, de la nature, de la vie et de la mort, c’est pour qu’ils se remplissent aussitôt d’épouvante ; le but suprême de notre activité nous échappe : raison de plus pour que nous nous attachions à des certitudes dont nous pouvons d’autant moins douter, que nous nous les sommes créées à nous-mêmes. Élever en face des forces aveugles ou cruelles qui menacent de nous accabler la protestation du Moi intelligent et bon, c’est le plus puissant mobile de toute énergie. L’auteur qui veut donner de la vie humaine une représentation large et fidèle n’a pas à la séparer de l’atmosphère douloureuse dont elle est toute baignée ; il suffit qu’il substitue à un pessimisme indolent et débile un pessimisme réfléchi, volontaire, et viril.
RENE DOUMIC