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le lieutenant-colonel de Saint-Rémy ; mais il est permis de le plaindre. N’est-ce pas placer un officier dans une alternative pleine d’angoisse que de lui donner à choisir entre sa conscience d’homme et son devoir de soldat ? Il faut, dit-on, que force reste à la loi. Ce n’est pas la loi qui est ici en cause, mais le gouvernement qui l’applique mal. Eh bien ! disent nos jacobins, il faut que la force reste au gouvernement. La doctrine du jour est que le gouvernement peut tout faire, sauf recours des particuliers lésés devant les tribunaux. Nous verrons dans un moment ce que vaut cette thèse : admettons-la comme un moindre mal. Si le gouvernement viole la loi, la Déclaration des droits de l’homme, cette Déclaration que la dernière Chambre avait la manie de faire afficher partout, recommande l’insurrection comme le premier des devoirs. Mais, à supposer que ce soit en effet un devoir, il est difficile à remplir. Le gouvernement est le plus fort ; la lutte entre lui et un certain nombre de citoyens n’est pas possible ; elle ne saurait, en tout cas, être bien longue. D’ailleurs les lois qu’on invoque de part et d’autre ont été, quelquefois volontairement, si mal faites qu’elles laissent une large part à l’arbitraire. On se dispute, on se bat dans les ténèbres. Comment en sortir ? En allant devant les tribunaux. La loi, quand elle est interprétée et appliquée par les partis, est dénaturée et faussée. Or le gouvernement aujourd’hui n’est pas autre chose qu’un parti ; il est même le plus violent de tous. Il ne représente pas l’intérêt général, mais une certaine collection d’intérêts particuliers, choisis souvent parmi les pires. Bien que les tribunaux ne soient pas toujours inaccessibles aux bruits du dehors, leur atmosphère est relativement calme et tempérée ; on peut attendre d’eux une impartialité qu’on chercherait vainement ailleurs. C’est à leur porte qu’il faut frapper.

Nous le disions il y a quinze jours. Depuis, M. le comte Albert de Mun a envoyé à un certain nombre d’hommes éminens dans la politique, les lettres, ou les sciences, un appel qui a été entendu. Il leur demandait d’adhérer à son éloquente protestation contre les abus d’une politique sans règle et sans frein. Les journaux ont publié les réponses qui lui ont été faites : elles sont toutes remarquables par la fermeté de la pensée, par la chaleur des sentimens qu’elles expriment, et plus encore par le souffle de libéralisme qui les traverse et les anime. Si M. de Mun s’était adressé seulement à des catholiques, les adhésions qu’il a reçues pourraient être taxées de refléter une opinion unique, et une opinion qu’il était facile d’escompter d’avance ; mais il y a des protestans, des libres penseurs parmi ses correspondans, des