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de la société, la fille les droits et les révoltes de l’individu : tout hier et tout demain. Et, dans chaque foyer français, plus ou moins, se joue à celte heure ce poignant drame : il y a rupture d’équilibre entre l’éducation reçue toute faite de nos parens et les aspirations qui sourdent en nos lils, en nos Jilles. Les liens sociaux tendent à se briser, un vent d’indépendance souffle;. la famille craque, se disloque, car un impérieux problème s’est posé : — Faut-il agir d’après l’exemple, les voix, les principes, les préjugés des morts, ou, les revisant, chercher pour les vivans une morale nouvelle? Dans cette morale, quels seront les droits à la vie, à l’amour, au bonheur? Nous sommes au tournant d’une grande évolution... »

Pensif, il se dirigeait vers la Muette à travers le bois solitaire, aux troncs verts du côté du Nord, aux cimes vineuses.

M"" Favié, descendant en elle-même, appelait la source de foi perdue, évanouie entre les pierres, le sable. Elle avait bien cru pourtant, docile aux conseils de son nouveau confesseur, le père Anselme, retrouver l’élan de sa jeunesse; avec quelle douleur elle se reprochait son péché involontaire, avec quelle humilité elle se rappelait sa grande tendresse pour Charlie ! En vain, sous les yeux attristés et devant le silence d’abstention de sa fille, elle était revenue aux pratiques les plus strictes, elle ne trouvait ni repos ni joie : rien qu’une désolante stérilité.

« Mon Dieu, suppliait-elle, je manque de courage, c’est que vous m’éprouvez encore et attendez de moi de nouveaux efforts. Je voudrais tant vous apporter «m cœur digne de vous et dégagé de toute coupable affection terrestre : n’est-ce pas déjà une preuve de votre bonté que celui que j’aimais ne cherche pas à troubler mon repos, accepte cette séparation nécessaire, m’oublie? » Mais une amertume la débordait; elle soutirait du silence de Charlie autant qu’il lui reprochait le sien. « Accordez-moi, mon Dieu, la force de travailler à son bonheur : qu’il puisse rencontrer une femme digne de lui, et que j’aie cette consolation d’y avoir contribué; qu’il soit heureux! Faites descendre sur lui vos faveurs et que votre providence le guide par la main : mon amour purifié pourra sourire sans trouble à sa vie nouvelle et le suivre comme un fils lointain. » — Oui, elle se hausserait à ce sacrifice, de marier Charlie ; elle étoufferait son cœur, dompterait sa jalousie; sans doute, ce serait le dernier terme du calvaire ; mais elle s’immolerait à cette vertu si haute et si pure de