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constitution de la République italienne sont antérieures au traité d’Amiens ; les opérations territoriales en Allemagne sont l’exécution du traité de Lunéville. La vérité est qu’ils sont décidés à ne point exécuter le traité d’Amiens dans les articles essentiels pour eux : les Indes et Malte. Le 17 octobre, lord Howard écrit à Wellesley, gouverneur de l’Inde : « Certaines circonstances rendent désirable un délai pour la restitution de plusieurs possessions des Indes orientales, qui, d’après les clauses du traité d’Amiens, devaient être remises aux gouvernemens français et batave. Je dois signifier à Votre Seigneurie l’ordre de Sa Majesté que telles de ces possessions, qui seront encore occupées par ses troupes au moment où vous recevrez cette lettre, ne soient pas évacuées sans de nouveaux ordres. » Le 10 octobre, une note est envoyée à Merry, le chargé d’affaires à Paris, protestant contre l’intervention en Suisse, déclarant que la neutralité des Cantons est liée à la paix et à l’équilibre de l’Europe, et par suite au traité d’Amiens. Otto écrit, le 26 octobre : « L’opinion générale est que l’évacuation de Malte dépendra de la discussion touchant la Suisse. »

Talleyrand a beau jeu pour répondre à ces argumens : le traité ne parle ni de la Suisse ni du Piémont ; il parle, au contraire, très expressément, et de l’évacuation de Naples par les Français et de l’évacuation de Malte par les Anglais. « Vous devez dire, écrit Talleyrand à Otto, qu’il est impossible qu’une puissance ne remplisse pas des engagemens stipulés par un traité formel[1]. » La France a évacué Naples, elle attend que l’Angleterre évacue Malte : les deux actes sont corrélatifs. Et voilà le conflit ouvert entre les deux chancelleries, comme il l’était entre la presse de Londres et le Moniteur de Paris. A la coalition qu’il soupçonne, s’ajoute chez Bonaparte une injure personnelle, car non seulement sa politique est contrariée, sa personne outragée, mais, chose plus insupportable, il voit tous ses desseins, tout l’avenir immense conçu et préparé par lui, suspendus au hasard d’une embuscade de brigands, au couteau d’un assassin ou, ce qui est pire, étant bête et humiliant, à un enlèvement, à quelque séquestration comme celle du sénateur Clément de Ris. Il se sait traqué, il s’entoure de policiers et de sentinelles, et il se sent ridicule devant l’Europe. Cette figure d’aigle

  1. 23 octobre 1802.