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LES VIEUX MAÎTRES
Á BRUGES

Bénies soient les vieilles villes, ruinées et endormies, que nos agitations bruyantes croient flétrir du nom de Villes mortes ! Elles seules nous gardent encore, avec les reliques des générations disparues, leur image et leur âme ; par elles, quand les arts y ont passé, par elles, bien plus encore que par les livres froids, nous nous sentons, créatures d’un jour, chétives et fragiles, en communion vivante avec les hommes d’autrefois, nos frères en joies et en douleurs, des frères aînés qui nous valaient bien, si, parfois, hélas ! ils ne valaient pas mieux ! Athènes, Pompéi, Sienne, Ravenne, Pise, Venise, Tolède, Bourges, Nuremberg, Bruges, vous et tant d’autres cités vénérables, ou brusquement ressuscitées par la science, ou lentement réveillées par le besoin, que deviendraient, sans vous, la vie et la pensée, dans nos sociétés modernes abandonnées à la brutalité des seules activités pratiques et confinées dans la curiosité mesquine et stérile de la seule « actualité ? » N’est-ce pas en vous que dorment ces réserves de foi et d’idéal, jusqu’à présent nécessaires aux imaginations endolories de l’humanité, pour les consoler ou pour les réjouir ? Ah ! tant qu’un vandalisme abject et stupide vous aura épargnées, appelez-nous, appelez-nous toujours, et nous irons reprendre en vous, avec l’intelligence, le respect et l’amour du passé, ce qu’il faut de courage maintenant, à ceux que n’étourdit pas tout à fait l’affolement confus de la vie contemporaine, pour espérer, dans l’avenir, des floraisons aussi riches de la Poésie et de la Beauté !